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LEONE LEONI.

qu’au souvenir de la Suisse ! Ces six mois d’amour et de bonheur étaient consacrés à receler un vol !

— Et à mettre en défaut les recherches de la justice, ajouta Henryet.

— Mais non ! mais non ! repris-je avec égarement, en le regardant comme pour l’interroger ; il m’aimait ! il est sûr qu’il m’a aimée. Je ne peux pas songer à ce temps-là sans retrouver la certitude de son amour. C’était un voleur qui avait dérobé une fille et une cassette, et qui aimait l’une et l’autre.

Henryet haussa les épaules ; je m’aperçus que je divaguais, et, cherchant à ressaisir ma raison, je voulus absolument savoir la cause de cet ascendant inconcevable qu’il exerçait sur Leoni.

— Vous voulez le savoir ? me dit-il. Et il réfléchit un instant. — Puis il reprit : Je vous le dirai, je puis vous le dire ; d’ailleurs il est impossible que vous ayez vécu un an avec lui sans vous en douter. Il a dû faire assez de dupes à Venise sous vos yeux…

— Faire des dupes ? lui ? comment ? Oh ! prenez garde à ce que vous dites, Henryet ; il est déjà assez chargé d’accusations.

— Je vous crois encore incapable d’être sa complice, Juliette, mais prenez garde de le devenir ; prenez garde à votre famille. Je ne sais pas jusqu’à quel point on peut être impunément la maîtresse d’un fripon.

— Vous me faites mourir de honte, monsieur, vos paroles sont cruelles ; achevez donc votre ouvrage et déchirez tout-à-fait mon cœur en m’apprenant ce qui vous donne, pour ainsi dire, droit de vie et de mort sur Leoni ; où l’avez-vous connu ? que savez-vous de sa vie passée ? Je n’en sais rien, moi, hélas ! j’ai vu en lui tant de choses contradictoires, que je ne sais plus s’il est riche ou pauvre, s’il est noble ou plébéien, je ne sais même pas si le nom qu’il porte lui appartient.

— C’est la seule chose que le hasard, répondit Henryet, lui ait épargné la peine de voler. Il s’appelle en effet Leone Leoni, et sort d’une des plus nobles maisons de Venise ; son père avait encore quelque fortune et possédait le palais que vous venez d’habiter. Il avait une tendresse illimitée pour ce fils unique, dont les précoces dispositions annonçaient une organisation supérieure. Leoni fut élevé avec soin, et dès l’âge de quinze ans parcourut la