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faites de moi ce qui vous plaira, mais arrachez-moi à l’affreuse situation où je suis. Trouvez-vous demain devant le portail de la cathédrale à une heure du matin. Nous concerterons notre départ. Il me sera facile d’aller vous trouver, Leoni passe toutes les nuits chez la Zagarolo. Ne soyez pas étonné de cette écriture bizarre et presque illisible. Leoni, dans un accès de colère, m’a presque démis la main droite. Adieu. Juliette Ruytek. »

— Il me semble que cette lettre est prudemment conçue, ajouta le marquis, et peut sembler vraisemblable au Flamand, quel que soit le degré de son intimité avec ta femme. Les paroles que tantôt dans son délire elle croyait lui adresser, nous donnent la certitude qu’il lui a offert de la reconduire dans son pays… L’écriture est informe, et qu’il connaisse ou non celle de Juliette…

— Voyons, dit Leoni d’un air attentif en se penchant sur la table.

Sa figure avait une expression effrayante de doute et de persuasion. Je n’en vis pas davantage. Mon cerveau était épuisé, mes idées se confondirent. Je retombai dans une sorte de léthargie. Quand je revins à moi, la lumière vague de la lampe éclairait les mêmes objets. Je me soulevai lentement, je vis le marquis à la même place où je l’avais vu en perdant connaissance. Il faisait encore nuit. Il y avait encore des bouteilles sur la table, une écritoire et quelque chose que je ne distinguai pas bien et qui ressemblait à des armes. Leoni était debout dans la chambre. Je tâchai de me souvenir de leur conversation précédente. J’espérai que les lambeaux hideux qui m’en revenaient à la mémoire étaient autant de rêves fébriles, et je ne sus pas d’abord qu’entre cette conversation et celle qui commençait, vingt-quatre heures s’étaient écoulées. Les premiers mots dont je pus me rendre compte furent ceux-ci :

— Il fallait qu’il se méfiât de quelque chose, car il était armé jusqu’aux dents. — En parlant ainsi, Leoni essuyait avec un mouchoir sa main ensanglantée.

— Bah ! ce que tu as n’est qu’une égratignure, dit le marquis ; je suis blessé plus sérieusement à la jambe, et il faudra pourtant que je danse demain au bal, afin qu’on ne s’en doute pas. Laisse donc ta main, panse-la et songe à autre chose.