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LEONE LEONI.

Je pris mon chapeau et mon schall sans répondre. Pendant que je m’habillais, des larmes coulaient lentement sur mes joues. Au moment de sortir avec moi de ma chambre, Leoni les essuya avec ses lèvres et me pressa mille fois encore dans ses bras, en me nommant sa bienfaitrice, son ange tutélaire et sa seule amie.

Je traversai en tremblant les vastes appartemens de la princesse. En voyant la richesse de cette maison, j’avais un serrement de cœur indicible, et je me rappelais les dures paroles d’Henryet : « Quand elle sera morte, vous serez riche, Juliette, vous hériterez de son luxe, vous coucherez dans son lit, et vous pourrez porter ses robes. » Je baissais les yeux, en passant auprès des laquais ; il me semblait qu’ils me regardaient avec haine et avec envie, et je me sentais plus vile qu’eux. Leoni serrait mon bras sous le sien ; en sentant trembler mon corps et fléchir mes jambes : Courage, courage ! me disait-il tout bas.

Enfin nous arrivâmes à la chambre à coucher. La princesse était étendue sur une chaise longue, et semblait nous attendre impatiemment. C’était une femme de trente ans environ, très maigre, d’un jaune uni, et magnifiquement élégante, quoique en déshabillé. Elle avait dû être très belle au temps de sa fraîcheur, et elle avait encore une physionomie charmante. La maigreur de ses joues exagérait la grandeur de ses yeux, dont le blanc, vitrifié par la consomption, ressemblait à de la nacre de perle. Ses cheveux, fins et plats, étaient d’un noir luisant et semblaient débiles et malades comme toute sa personne. Elle fit en me voyant une légère exclamation de joie, et me tendit une longue main effilée et bleuâtre que je crois voir encore. Je compris, à un regard de Leoni, que je devais baiser cette main, et je me résignai.

Leoni se sentait mal à l’aise sans doute, et cependant son aplomb et le calme de ses manières me confondirent. Il parlait de moi à sa maîtresse, comme si elle n’eût jamais pu découvrir sa fourberie, et il lui exprimait sa tendresse devant moi, comme s’il m’eût été impossible d’en ressentir de la douleur ou du dépit. La princesse semblait de temps en temps avoir des retours de méfiance, et je vis, à ses regards et à ses paroles, qu’elle m’étudiait pour détruire ses soupçons ou pour les confirmer. Ma douceur naturelle excluant toute espèce de haine, elle prit vite confiance