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en moi, et, jalouse qu’elle était avec emportement, elle pensa qu’il était impossible à une autre femme de consentir au rôle que je jouais. Une intrigante aurait pu l’accepter, mais l’air et le ton de ma physionomie démentaient cette conjecture. La princesse se prit de passion pour moi. Elle ne voulait plus que je sortisse de sa chambre, elle m’accablait de dons et de caresses. Je fus un peu humiliée de sa générosité, et j’eus envie de refuser, mais la crainte de déplaire à Leoni me fit supporter encore cette mortification. Ce que j’eus à souffrir dans les premiers jours, et les efforts que je fis pour assouplir à ce point mon orgueil, sont des choses inouies. Cependant peu à peu ces souffrances s’apaisèrent, et ma situation d’esprit devint tolérable. Leoni me témoignait à la dérobée une reconnaissance passionnée et une tendresse délirante. La princesse, malgré ses caprices, ses impatiences et tout le mal que son amour pour Leoni me causait, me devint agréable et presque chère. Elle avait le cœur ardent plutôt que tendre, et le caractère prodigue plutôt que généreux. Mais elle avait dans les manières une grâce irrésistible ; l’esprit dont pétillait son langage au milieu des plus vives souffrances, le choix des mots ingénieux et caressans avec lesquels elle me remerciait de mes complaisances ou me priait d’oublier ses emportemens, ses petites flatteries, ses finesses, sa coquetterie qui la suivit jusqu’au tombeau, tout en elle avait un caractère d’originalité, de noblesse et d’élégance, dont j’étais d’autant plus frappée, que je n’avais jamais vu de près aucune femme de son rang, et que je n’étais point accoutumée à ce grand charme que leur donne l’usage de la bonne compagnie. Elle possédait ce don à un tel point que je ne pus y résister, et que je me laissai dominer à son gré ; elle était si malicieuse et si aimable avec Leoni, que je concevais qu’il fût devenu amoureux d’elle, et que j’avais fini par m’habituer à voir leurs baisers et à entendre leurs fadeurs sans en être révoltée. Il y avait vraiment des jours où ils avaient assez de grâce et d’esprit l’un et l’autre, pour que j’eusse du plaisir à les écouter, et Leoni trouvait le moyen de m’adresser des choses si délicates, que je me sentais encore heureuse dans mon abominable abaissement. La haine que les laquais et les subalternes m’avaient d’abord témoignée s’était vite apaisée, grâce au soin que j’avais pris de leur abandonner tous les petits présens que me faisait leur maî-