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LEONE LEONI.

larmes. Elle me donna des soins en silence, et veilla à ce que je ne me laissasse pas mourir de faim. La tristesse de cette maison que j’avais vue si fraîche et si brillante, convenait à la situation de mon ame. Je revoyais les meubles qui me rappelaient les mille petits évènemens frivoles de mon enfance ; je comparais ce temps, où une égratignure à mon doigt était l’accident le plus terrible qui pût bouleverser ma famille, à la vie infâme et sanglante que j’avais menée depuis. Je voyais d’une part ma mère au bal, de l’autre la princesse Zagarolo empoisonnée dans mes bras et de ma propre main ; le son des violons passait dans mes rêves au milieu des cris d’Henryet assassiné ; et dans l’obscurité de la prison où, pendant trois mois d’angoisses, j’avais attendu chaque jour une sentence de mort, je voyais arriver à moi, au milieu de l’éclat des bougies et du parfum des fleurs, mon fantôme vêtu de crêpe d’argent et couvert de pierreries. Quelquefois, fatiguée de ces rêves confus et effrayans, je soulevais les rideaux, je m’approchais de la fenêtre et je regardais cette ville où j’avais été si heureuse et si vantée, les arbres de cette promenade où tant d’admiration avait suivi chacun de mes pas. Mais bientôt je m’apercevais de l’insultante curiosité qu’excitait ma figure pâle. On s’arrêtait sous ma fenêtre ; on se groupait pour parler de moi, en me montrant presqu’au doigt. Alors je me retirais, je faisais retomber les rideaux, j’allais m’asseoir auprès du lit de ma mère, et j’y restais jusqu’à ce que ma tante vînt, avec sa figure et ses pas silencieux, me prendre le bras et me conduire à table. Ses manières, en cette circonstance de ma vie, me parurent les plus convenables et les plus gênéreuses qu’on pût avoir envers moi. Je n’aurais pas écouté les consolations, je n’aurais pu supporter les reproches, je n’aurais pas cru à des marques d’estime. L’affection muette et la pitié délicate me furent plus sensibles. Cette figure morne qui passait sans bruit autour de moi, comme un fantôme, comme un souvenir du temps passé, était la seule qui ne pût ni me troubler, ni m’effrayer. Quelquefois je prenais ses mains sèches, et je les pressais sur ma bouche pendant quelques minutes, sans dire un mot, sans laisser échapper un soupir. Elle ne répondait jamais à cette caresse, mais elle restait là sans impatience, et ne retirait pas ses mains à mes baisers : c’était beaucoup.