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LEONE LEONI.

heureuse que la fatalité entraîne et qui ne peut s’arrêter. Je me retourne vers toi et je t’envoie mille adieux, mille baisers, mille bénédictions. Mais la tempête m’enveloppe et m’emporte. En périssant sur les écueils où elle doit me briser, je répéterai ton nom, et je t’invoquerai comme un ange de pardon entre Dieu et moi.

Juliette. »


Cette lettre me causa un nouvel accès de rage. Puis je tombai dans le désespoir, je sanglottai comme un enfant pendant plusieurs heures, et succombant à la fatigue, je m’endormis sur ma chaise, seul, au milieu de cette grande chambre où Juliette m’avait conté son histoire la veille. Je me réveillai calme, j’allumai du feu, je fis plusieurs fois le tour de la chambre d’un pas lent et mesuré.

Quand le jour parut, je me rassis, et je me rendormis. Ma résolution était prise. J’étais tranquille. À neuf heures je sortis, je pris des informations dans toute la ville, et je m’enquis de certains détails dont j’avais besoin. On ignorait par quels procédés Leoni avait refait sa fortune ; on savait seulement qu’il était riche, prodigue, dissolu ; tous les hommes à la mode allaient chez lui, singeaient sa toilette et se faisaient ses compagnons de plaisir. Le marquis de — l’escortait partout et partageait son opulence. Tous deux étaient amoureux d’une courtisanne célèbre, et par un caprice inoui cette femme refusait leurs offres. Sa résistance avait tellement aiguillonné le désir de Leoni, qu’il lui avait fait des promesses exorbitantes, et qu’il n’y avait aucune folie où elle ne pût l’entraîner.

J’allai chez elle, et j’eus beaucoup de peine à la voir. Enfin elle m’admit et me reçut d’un air hautain en me demandant ce que je voulais du ton d’une personne pressée de congédier un importun.

— Je viens vous demander un service, lui dis-je. Vous haïssez Leoni ?

— Oui, me répondit-elle, je le hais mortellement.

— Puis-je vous demander pourquoi ?

— Il a séduit une jeune sœur que j’avais dans le Frioul et qui