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IMRESSIONS DE VOYAGES.

Les Suisses trouvèrent que la France était dignement représentée.

Cent pas plus loin nous étions à la porte d’en bas. Nous traversâmes l’Aar sur un assez beau pont de pierre ; puis une course d’une demi-heure nous conduisit au sommet de l’Altenberg. On retrouve là la même vue à peu près que celle qu’on a de la terrasse de la cathédrale, excepté que de ce second belvédère la ville de Berne forme le premier plan du tableau.

Nous abandonnâmes bientôt cette promenade, toute magnifique qu’elle était. Comme aucun arbre n’y tempérait l’ardeur des rayons du soleil, la chaleur y était étouffante ; de l’autre côté de l’Aar, au contraire, nous apercevions un bois magnifique dont les allées étaient couvertes de promeneurs. Nous craignîmes un instant d’être réduits à retourner sur nos pas pour retrouver le pont que nous avions déjà traversé ; mais nous aperçûmes au-dessous de nous un bac à l’aide duquel s’opérait le passage, au grand bénéfice du batelier, car nous fûmes obligés d’attendre un quart d’heure notre tour d’inscription. Ce batelier est un vieux serviteur de la république à qui la ville a donné pour récompense de ses services le privilége exclusif du transport des passagers qui veulent traverser l’Aar. Ce transport s’opère moyennant une rétribution de deux sous, à laquelle échappent les membres de deux classes de la société qui n’ont cependant dans l’exercice de leurs fonctions aucun rapport probable, les sages-femmes et les soldats. Comme j’avais fait quelques questions à mon passeur, il se crut en droit à son tour, en me reconnaissant pour Français, de m’en adresser une. Il me demanda si j’étais pour l’ancien ou pour le nouveau roi. Ma réponse fut aussi catégorique que sa demande :

— Ni pour l’un, ni pour l’autre.

Les Suisses sont en général très questionneurs et très indiscrets dans leurs questions, mais ils y mettent une bonhomie qui en fait disparaître l’impertinence ; puis, lorsque vous leur avez dit vos affaires, ils vous racontent à leur tour les leurs avec ces détails intimes que l’on réserve ordinairement pour les amis de la maison. À table d’hôte, et au bout d’un quart d’heure, on connaît son voisin, comme si l’on avait vécu vingt ans avec lui. Du reste, vous êtes parfaitement libre de répondre ou de ne pas répondre