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étaient les successeurs des autres, et qu’à leur mort ils devaient hériter de leur place et de leur fortune. Ceci exige une explication.

Nous avons dit comment, après sa fondation par le duc de Zœringen, Berne avait reçu son nom, et la part que le genre animal avait prise à son baptême. Depuis ce temps, les ours devinrent les armes de la ville, et l’on résolut non-seulement de placer leur effigie dans le blason, sur les fontaines, dans les horloges et sur les monumens de Berne, mais encore de s’en procurer de vivans, qui seraient nourris et logés aux frais des habitans. Ce n’était pas chose difficile, on n’avait qu’à étendre la main vers la montagne et à choisir. Deux jeunes oursins furent pris et amenés à Berne, où bientôt ils devinrent, par leur grace et leur gentillesse, un objet d’idolâtrie pour les bourgeois de la ville.

Sur ces entrefaites, une vieille fille fort riche, et qui, vers les dernières années de sa vie, avait manifesté pour ces aimables animaux une affection toute particulière, mourut, ne laissant d’autres héritiers que des parens assez éloignés. Son testament fut ouvert avec les formalités d’usage, en présence de tous les intéressés. Elle laissait 60,000 livres de rente aux ours, et mille écus une fois donnés à l’hôpital de Berne, pour y fonder un lit en faveur de l’un des membres de sa famille. Les ayans-droit attaquèrent le testament sous prétexte de captation ; un avocat d’office fut nommé aux défendeurs, et comme c’était un homme d’un grand talent, l’innocence des malheureux quadrupèdes, que l’on voulait spolier de leur héritage, fut publiquement reconnue, le testament déclaré bon et valable, et les légataires furent autorisés à entrer immédiatement en jouissance.

La chose était facile : la fortune de la donatrice consistait en argent comptant. Les douze cent mille francs de capital qui la composaient furent versés au trésor de Berne, que le gouvernement déclara responsable de ce dépôt, avec charge de compter des intérêts aux fondés de pouvoir des héritiers, considérés comme mineurs. On devine qu’un grand changement s’opéra dans le train de maison de ces derniers. Leurs tuteurs eurent une voiture et un hôtel, ils donnèrent en leur nom des dîners parfaitement servis et des bals du meilleur goût. Quant à eux personnellement, leur