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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

Montreuil, et que je vins à penser que Pierrette m’avait oublié tout-à-fait. Le régiment d’Auvergne était à Orléans depuis trois mois, et le mal du pays commençait à m’y prendre. Je jaunissais à vue d’œil et je ne pouvais plus soutenir mon fusil. Mes camarades commençaient à me prendre en grand mépris comme on prend ici toute maladie, vous le savez. Il y en avait qui me dédaignaient parce qu’ils me croyaient très malade, d’autres parce qu’ils soutenaient que je faisais semblant de l’être, et, dans ce dernier cas, il ne me restait d’autre parti que de mourir pour prouver que je disais vrai ; ne pouvant pas me rétablir tout à coup, ni être assez mal pour me coucher, fâcheuse position…

Un jour, un officier de ma compagnie vint me trouver et me dit :

— Mathurin, toi qui sais lire, lis un peu cela.

Et il me conduisit sur la place de Jeanne d’Arc, place qui m’est chère, où je lus une grande affiche de spectacle sur laquelle on avait imprimé ceci :


PAR ORDRE.

« Lundi prochain, représentation extraordinaire d’Irène, pièce nouvelle de M. de Voltaire, et de Rose et Colas, par M. Sédaine, musique de M. Monsigny, au bénéfice de Mlle Colombe, célèbre actrice de la comédie italienne, laquelle paraîtra dans la seconde pièce. Sa Majesté la reine a daigné promettre qu’elle honorerait le spectacle de sa présence. »


— Eh bien ! dis-je, mon capitaine, qu’est-ce que cela peut me faire ça ?

Tu es bon sujet, me dit-il, tu es beau garçon, je te ferai poudrer et friser pour te donner un peu meilleur air, et tu seras placé en faction à la porte de la loge de la reine.

Ce qui fut dit fut fait. L’heure du spectacle venue, me voilà dans le corridor en grande tenue du régiment d’Auvergne, sur un tapis bleu, au milieu des guirlandes de fleurs en festons qu’on avait disposées partout et des lis épanouis sur chaque marche des escaliers du théâtre ; le directeur courait de tous côtés avec un air tout joyeux et agité. C’était un petit homme gras, court et rouge, vêtu d’un habit de soie bleu de ciel avec un jabot florissant et faisant la roue. Il s’agitait en tout sens et ne cessait de se mettre à la fenêtre