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LE CHEVALIER DU COUËDIC.

la flotte combinée, le comte d’Orvilliers, envoyait de son côté une centaine de chaloupes, espagnoles et françaises, qui devaient se mettre aux ordres du capitaine de la Surveillante. Ces embarcations entouraient et serraient de si près la frégate, qu’il fallut prendre les précautions les plus sévères pour éviter tout abordage : le moindre choc pouvait lui devenir fatal, en raison de son état de délabrement. Les ingénieurs crurent toutefois possible, après quelques instans de délibération, de l’amener sans de graves accidens jusque dans les bassins de Brest, où elle devait être complètement refondue. Apprenant le résultat de cette délibération, les matelots espagnols et français, qui montaient les chaloupes, réclamèrent aussitôt à grands cris la permission de monter à bord. Ils voulaient procurer à l’équipage de la Surveillante quelques instans d’un repos bien mérité, en le suppléant dans son travail ; ils voulaient surtout avoir l’honneur de manœuvrer une frégate qui avait si vaillamment combattu. Cette demande était de celles qui ne peuvent être refusées ; on fit donc monter à bord des matelots espagnols et français en nombre égal : ce furent eux qui levèrent l’ancre. À l’égard des chaloupes qui devaient donner la remorque même procédé fut suivi : divisées en plusieurs rangs, on eut soin de mettre dans chaque rang un même nombre de chaloupes espagnoles et françaises, cédant d’ailleurs la droite, comme place d’honneur, à la nation alliée. Ces chaloupes au nombre de cent étaient placées sur dix rangs. Précédée par toutes ces embarcations ramant en cadence, la Surveillante quitta la rade de Camaret, pour se diriger vers le port de Brest. Soixante-dix vaisseaux de ligne, espagnols et français, sans compter quantité de frégates, de bâtimens légers, tous ornés, en poupe et en proue, des pavillons des deux nations alliées, couvraient en ce moment la vaste rade de cette ville ; spectacle vraiment magnifique.

De ces vaisseaux de bruyantes acclamations s’élevaient incessamment pour saluer le passage de la Surveillante, tandis qu’elle-même, désemparée, noircie par la poudre et le feu, rouge de sang, s’acheminait vers le port, emportant dans ses flancs son brave capitaine mortellement blessé. Le soleil d’automne qui éclairait tout cela, rappelant les magnificences de l’été et faisant déjà pressentir les tristesses de l’hiver, se trouvait lui-même en merveilleuse har-