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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

de la grande cantatrice, et toute la cour qui voudrait l’applaudir. Oui, oui, applaudissons.

En même temps elle donna le signal des applaudissemens, et toute la salle ayant les mains déchaînées ne laissa plus passer un mot de Rose sans l’applaudir à tout rompre. La charmante reine était ravie.

— C’est ici, dit-elle à M. de Biron, qu’il y a trois mille amoureux, mais ils le sont de Rose et non de moi cette fois.

La pièce finissait, et les femmes en étaient à jeter leurs bouquets sur Rose.

— Et le véritable amoureux, où est-il donc ? dit la reine à M. le duc de Lauzun. Il sortit de sa loge et fit signe à mon capitaine qui rodait dans le corridor.

Le tremblement me reprit, je sentais qu’il allait m’arriver quelque chose, sans oser le prévoir ou le comprendre ou seulement y penser.

Mon capitaine salua profondément et parla bas à M. de Lauzun. La reine me regarda ; je m’appuyais sur le mur pour ne pas tomber. On montait l’escalier, et je vis Michel Sédaine, suivi de Grétry et du directeur, important et sot ; ils conduisaient Pierrette, la vraie Pierrette, ma Pierrette à moi, ma sœur, ma femme, ma Pierrette de Montreuil.

Le directeur cria de loin : Voici une belle soirée de dix-huit mille francs !

La reine se retourna, et parlant hors de sa loge d’un air tout à la fois plein de franche gaieté et d’une bienfaisante finesse, elle prit la main de Pierrette.

— Viens, mon enfant, dit-elle, il n’y a pas d’autre état qui fasse gagner sa dot en une heure de temps sans péché. Je reconduirai mon élève à monsieur le curé de Montreuil qui nous absoudra toutes deux, j’espère.

Ensuite elle me salua ! Me saluer ! moi qui étais mort plus d’à moitié, quelle cruauté !

— J’espère, dit-elle, que monsieur Mathurin voudra bien accepter à présent la fortune de Pierrette, je n’y ajoute rien, et elle l’a gagnée elle-même.