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à reprendre que fâcheuse à quitter, il ne recula pas devant le ridicule des petites et fréquentes vicissitudes ; et, pour ne pas perdre de vue un seul moment la route du ministère d’où il sortait, il vint s’y placer sans rancune en vedette officieuse, et soutenir des successeurs qui l’avaient assez brutalement renversé. C’est ainsi que, sous le ministère de M. Périer, M. Guizot s’était fait, avec un rare désintéressement, l’orateur du cabinet et le premier commis de la présidence. Je sais que les immenses travaux qui furent faits par M. Guizot, pendant cette pénible session, ne restèrent pas sans salaire ; mais ce n’est pas par un traitement, quelque large qu’il soit, qu’on peut compenser la perte du pouvoir, et faire oublier l’humiliation qu’il y a de descendre à la seconde place quand on a occupé la première. Le véritable dédommagement que trouva M. Guizot dans cette situation, ce fut le simulacre de puissance qui lui resta, et l’espoir de ressaisir prochainement l’autorité elle-même, que M. Périer mourant laissa tomber en partie dans ses mains ; chose vraiment fâcheuse pour le pouvoir et pour M. Guizot, qui se nuisent aujourd’hui cruellement l’un à l’autre.

Aux affaires, M. Guizot se raidit. Cette vigueur factice qu’il s’est donnée ou qu’on lui a donnée dès l’enfance, il l’exagère encore. Il élève si haut le pouvoir et la force, qu’il estime qu’un ministre ne saurait jamais en avoir assez. Heureux de tenir enfin ce pouvoir qu’il a désiré si long-temps, il le manie à tout propos et à toute heure, et il conseille toujours d’en faire l’emploi le plus décisif. Dans le pouvoir, M. Guizot ne voit qu’un état de guerre, une guerre qui justifie tous les moyens, pourvu que l’on triomphe. Le pouvoir, selon lui, doit s’exercer au profit d’une classe d’intérêts, et combattre, ruiner, anéantir tous les autres. M. Guizot en est, pour le gouvernement de la France, à sa grande distinction historique des vainqueurs et des vaincus, des Francs et des Gaulois, de la race dominatrice et de la race dominée. M. Guizot, qui a dit et écrit tant de choses, a encore écrit ceci : « Le pouvoir s’abuse étrangement quand il se place hors du camp des vainqueurs. Il se trahit ainsi lui-même et ment à sa propre nature. Il quitte ceux qui veulent et doivent posséder l’empire pour aller à ceux qui ne peuvent réclamer que la liberté. » De cette sorte, dès que M. Guizot se trouve placé du côté du pouvoir, le droit n’existe pas. Il n’admet