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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

du château, de toutes les vitres des casernes et du bourg, il ne restait pas un morceau de verre attaché au mastic. La fumée blanche se dissipa en petites couronnes.

— La poudre est très bonne quand elle fait des couronnes comme celle-là, me dit Timoléon en entrant tout habillé et armé dans ma chambre.

— Il me semble, dis-je, que nous sautons.

— Je ne dis pas le contraire, me répond-il froidement. Il n’y a rien à faire jusqu’à présent.

En trois minutes je fus comme lui habillé et armé, et nous regardâmes en silence le silencieux château.

Tout d’un coup vingt tambours battirent la générale. Les murailles sortaient de leur stupeur et de leur impassibilité et appelaient à leur secours. Les bras du pont-levis commencèrent à s’abaisser lentement et descendirent leurs pesantes chaînes sur l’autre bord du fossé. C’était pour faire entrer les officiers et sortir les habitans. Nous courûmes à la herse : elle s’ouvrait pour recevoir les forts et rejeter les faibles.

Un singulier spectacle nous frappa. Toutes les femmes se pressaient à la porte et en même temps tous les chevaux de la garnison. Par un juste instinct du danger, ils avaient rompu leurs licols à l’écurie ou renversé leurs cavaliers, et attendaient en piaffant que la campagne leur fut ouverte. Ils couraient par les cours à travers les troupeaux de femmes, hennissant avec épouvante, la crinière hérissée, les narines ouvertes, les yeux rouges, se dressant debout contre les murs, respirant la poudre avec horreur et cachant dans le sable leurs naseaux brûlés.

Une jeune et belle personne roulée dans les draps de son lit, suivie de sa mère à demi vêtue et portée par un soldat, sortit la première, et toute la foule suivit. Dans ce moment, cela me parut une précaution bien inutile, la terre n’était sûre qu’à six lieues de là.

Nous entrâmes en courant ainsi que tous les officiers logés dans le bourg. La première chose qui me frappa fut la contenance calme de nos vieux grenadiers de la garde, placés au poste d’entrée. L’arme au pied, appuyés sur cette arme, ils regardaient du côté de la poudrière, en connaisseurs, mais sans dire un mot ni quit-