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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

jaillir ensemble les pierres, les branches, la terre, les toits et les têtes humaines les mieux attachées.

Le meilleur auxiliaire que puisse trouver la discipline, c’est le danger. Quand tous sont exposés, chacun se tait et se cramponne au premier homme qui donne un ordre ou un exemple salutaire.

Le premier qui se jeta sur les caissons fut Timoléon. Son air sérieux et contenu n’abandonnait pas son visage ; mais son agilité, qui me surprit, le précipita sur une roue prête à s’enflammer. À défaut d’eau, il l’éteignit en l’étouffant avec son habit, ses mains, sa poitrine, qu’il y appuyait. On le crut d’abord perdu. Mais en l’aidant, nous trouvâmes la roue noircie et éteinte, son habit brûlé, sa main gauche un peu poudrée de noir ; du reste, toute sa personne intacte et tranquille. En un moment, tous les caissons furent arrachés de la cour dangereuse et conduits hors du fort, dans la cour du Polygone. Chaque canonnier, chaque soldat, chaque officier s’attelait, tirait, roulait, poussait les redoutables chariots, des mains, des pieds, des épaules et du front.

Les pompes inondèrent la petite poudrière par la noire ouverture de sa poitrine ; elle était fendue de tous les côtés ; elle se balança deux fois en avant et en arrière, puis ouvrit ses flancs comme l’écorce d’un grand arbre, et, tombant à la renverse, découvrit une sorte de four noir et fumant, où rien n’avait forme reconnaissable, où toute arme, tout projectile était réduit en poussière rougeâtre et grise, délayée dans une eau bouillonnante ; sorte de lave où le sang, le fer et le plomb s’étaient confondus en un mortier vivant, et qui s’écoula dans les cours en brûlant l’herbe sur son passage.

C’était la fin du danger. Restait à se reconnaître et à se compter.

— On a dû entendre cela de Paris, me dit Timoléon en me serrant la main, je vais lui écrire pour la rassurer. Il n’y a plus rien à faire ici.

Il ne parla plus à personne et retourna dans notre petite maison blanche aux volets verts, comme s’il fût revenu de la chasse.