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tant mon livre de pierre sous le bras, pareil au prophète Moïse lorsqu’il descendail le Sinaï. Combien c’est une chose imposante et délicieuse que de contempler à loisir le spectacle des étoiles, et d’aspirer le vent du soir, quand on est enfermé d’ordinaire en une sombre galerie où l’air et la clarté du ciel ne pénètrent qu’à travers des vitraux peints ! Tu ne peux pas comprendre quelle céleste musique éveillaient dans ma poitrine toutes ces voix de la nature, toi, mon neveu, dont la statue, exposée au grand air, entend chaque matin le chœur de la végétation, et baigne ses lèvres dans la rosée ! Quel bonheur de voir les plaines onduler comme le sein d’une jeune fille qui repose, et d’aspirer le souffle de la création ! Tout-à-l’heure, aux douces vapeurs qui s’élevaient de la terre, mon ame s’est épanouie en un concert de louanges, et j’ai senti de nouveau ce grand amour de la nature qui m’exaltait en ma jeunesse, lorsque je m’échappais la nuit du laboratoire de mon vieux maître l’alchimiste, et que j’allais, au clair de lune, herboriser sur la montagne. Vous étiez occupé tout-à-l’heure avec cet homme ; sans doute quelque affaire importante que vous n’avez pas eu le temps de terminer sur la terre. Bien, mon digne fils, ceux de notre maison en agissent ainsi, et lorsque la mort les prend à l’improviste, comme vous, commandeur, ils reviennent eux-mêmes régler leurs comptes avec les vivans, afin que la douleur de leur perte soit grave et solennelle dans la famille, et que le jour des larmes ne se consume pas en discussions avec quelque juif usurier. Continuez, je vous en prie. Ah ! cependant écoutez encore cette histoire. Je suivais le sentier d’aubépine qui mène à votre enclos, et mon ame qui tout-à-l’heure en face du grand spectacle de la nuit n’avait pas assez de ses deux ailes pour s’élever à la pensée immense du créateur et de son œuvre, à mesure que je m’enfonçais dans le feuillage profond, semblait abattre sa volée ; car l’ame, bien qu’elle soit de nature divine, est cependant liée au corps par des nœuds invisibles. Je vous le dis en vérité, le corps tient l’ame par un fil, de même qu’un écolier son cerf-volant. Lorsque l’enfant court dans la plaine, le cerf-volant monte et s’égare parmi les nuages ; mais s’il entre dans un épais taillis, son compagnon du ciel est obligé de vite redescendre et d’arrêter son essor à la voûte des arbres. Ainsi, lorsque j’ai laissé la rase campagne et le vaste horizon pour cheminer en cet