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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

de si douces paroles au fond de ces calices que tu foulais aux pieds.

Don Juan.

On eût dit qu’elles m’avaient pris en haine et se fermaient à mon approche comme elles font au tomber de la nuit. Cependant je les aimais, les fleurs !

Le Commandeur.

Oui, comme tu aimais les femmes, pour les respirer et les briser ensuite.

Don Juan.

Nous sommes donc réconciliés ce matin ? regarde, il n’en est pas une dans le champ qui ne se fasse belle pour me plaire.

Le Commandeur.

Ne viens-tu pas de prier Dieu ? Quand l’ame a pardonné, la bouche sourit.

Don Juan.

Eh quoi ! c’est la prière qui m’ouvre avec ses jolis doigts tous les yeux du firmament, tous les calices de la plaine ? Ainsi, plus de rancune, chastes étoiles ; la paix est donc faite entre nous, belles marguerites ? regarde-les déployer leurs colliers de perles blanches ; écoute-les chanter en chœur pour me glorifier. Ô saintes fleurs, vous avez bien mérité du Christ et de la Vierge, et Dieu vous donnera sans doute une couronne, si vous restez toujours ainsi.

Le Commandeur.

Les fleurs et les étoiles sont les anges de la terre.

Don Juan.

Amour intarissable ! Autrefois dans mes nuits d’orgie, à force de vin et de passion, je déployais mes ailes aussi ; mais, hélas ! à peine j’avais perdu pied que je heurtais du front les voûtes d’une taverne, et retombais ivre sur la terre. Ce matin, je ne sais si je suis en démence, mais plus je m’élève et plus je sens le besoin de m’élever encore ; il me semble que je ne dois plus trouver de limites.

Le Commandeur.

Je le crois bien, tu voles dans l’infini.