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nous deux les entourait, que c’eût été folie de les risquer imprudemment. Je pouvais d’ailleurs m’en reposer sur elle du soin de les faire naître et de nous les ménager avec sécurité. Elle ne me commandait plus, elle me suppliait, au nom de notre amour, de murer en mon âme les secrets qui y étaient tombés, et de ne la solliciter jamais pour lui en arracher d’autres. Elle me conjurait de ne chercher par aucun moyen à découvrir en quel lieu de la ville était sa maison. Si je parvenais en effet à le savoir, les impatiences de ma tendresse m’entraîneraient malgré moi aux galanteries accoutumées des amoureux. Je la voudrais suivre aux promenades et à la messe ; je m’emparerais de sa rue nuit et jour ; je ferais donner des sérénades sous ses croisées ; et observée comme elle était, je ne manquerais pas de nous perdre ainsi l’un et l’autre. Ce n’était point de mon cœur qu’elle se défiait, mais bien plutôt de l’indiscrétion de ses témoignages, et voilà pourquoi elle se garantissait si fort contre elle. Elle ne s’enveloppait de tant de voiles et d’obscurité que pour y mieux cacher et retenir notre amour. Sa lettre était remplie de mille autres recommandations qui toutes en conscience eussent formé un beau sermon, dont le texte eût été que la discrétion des hommes est la vertu des femmes.

Elle me permettait néanmoins de lui répondre, mais à la charge de remettre moi-même ma réponse au vieil écuyer qui l’attendrait le lendemain à l’heure de l’Ave Maria sous les arcades de San Pablo.

Sentant bien où étaient surtout ses inquiétudes et ses craintes, et combien il m’importait de les apaiser, je lui écrivis une lettre que je lui fis tenir scrupuleusement comme elle l’avait prescrit, et où je mis toutes les assurances capables de lui donner une entière tranquillité. Je lui jurais que le bandeau qu’elle m’avait attaché sur les yeux de ses belles mains, fut-il bien plus épais encore, jamais je ne chercherais contre son désir à le soulever. Pourvu qu’elle le détachât elle-même, et me rendît la vue lorsque je serais à ses pieds, partout ailleurs je consentais à être aveugle. C’était de ses seuls regards que me devait venir la lumière, et je n’en voulais point d’autre. Mais je la suppliais à mon tour de ne point retarder notre réunion, la mit-elle pour moi au prix d’un dévoûment bien plus complet que n’en demandaient les faciles conditions qu’elle m’avait imposées. Je la suppliais surtout, lorsqu’il s’agirait pour moi d’un instant de sa présence, de ne jamais considérer les dangers dont je le pourrais payer, et de ne s’arrêter qu’à ceux qu’elle risquerait elle-même.

Je ne sais si je le dus à la persuasion rassurante de mes paroles, mais un second rendez-vous ne se fit pas attendre long-temps. Il fut entouré de toutes les mystérieuses précautions qui avaient accompagné le premier.

Dona Josefa, moins inquiète, moins défiante, fut moins fière aussi,