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Eh bien ! je fus régalé, le soir après souper, d’un de ces billets jetés sur mon lit, qu’en mes galans propos, je disais à ma dame m’être descendus du ciel. Mais celui-là n’avait rien, je vous assure, du langage doucereux et mesuré que l’on doit parler en si haut lieu. Vu son style et l’inexplicable chemin qu’il avait pris pour me venir trouver, il eût au contraire été fort raisonnablement permis de lui supposer un point de départ tout opposé. C’était bien en somme le billet le plus diaboliquement furibond qu’ait jamais écrit la femme la plus enragée dans la plus haute tempête de sa plus fougueuse colère.

Elle ne me faisait pas même l’honneur de me traiter d’ingrat et de perfide. J’étais un misérable et un infâme.

Elle avait été bien folle de mettre une âme comme la sienne à la merci d’un cœur si bas placé ! Je l’avais trahie lâchement, mais je n’aurais pas au moins la gloire de briser le premier, suivant l’honorable avis de mon frère, un lien qui l’avait déjà trop long-temps déshonorée.

Elle était avertie à temps, et de ce jour je ne devais plus entendre parler d’elle.

Je ne vous dirai point en quelle douleur me jetèrent ces menaces qu’un effet sérieux parut vouloir suivre. Il ne m’arrivait plus ni lettres ni messages. Durant trois semaines, dona Josefa sembla bien m’avoir irrévocablement oublié. Oh ! je n’avais pas, moi, pris mon parti de son abandon, et ce n’était point avec résignation que je portais le deuil de cet amour. Rougissant d’ailleurs de ma faiblesse, et redoutant d’en trop laisser éclater au dehors les témoignages, je m’étais retiré ainsi qu’un ermite en ma chambre, refusant d’y admettre qui que ce fût, même mon frère, afin de me consoler au moins un peu à pleurer en liberté.

Ce désespoir si profondément enfoui sut pourtant trouver son accès jusqu’auprès de la comtesse, et lui arracha quelque pitié. Fléchi par mes pleurs, un beau matin le ciel enfin se rouvrit, et il m’en tomba une missive où dona Josefa, touchée de mon repentir, me permettait de venir expier ma faute à ses genoux.

Il fallait vraiment, pensai-je alors, que la même fée qui lui avait conté mot pour mot ma conversation avec mon frère, remplissant cette fois un office plus honorable, se fut chargée de recueillir mes larmes, et de les lui porter afin de m’obtenir ma grâce.

Après cette réconciliation qui fut surtout bien complète, lorsque j’eus convaincu suffisamment mon inquiète maîtresse que ma confidence à mon frère, si coupable qu’elle fût, reposait au moins en un digne et inviolable sanctuaire, notre commerce se continua durant les premiers mois de