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mule qui, dans le Boulam, est l’expression du plus profond respect : « Puissiez-vous vivre à jamais. »

« L’orateur demanda alors la permission de présenter aux assistans un étranger qui serait désormais l’objet de leur vénération, le roi Bey Sherbro (c’était le nouveau nom pris par Macaulay Wilson à son avènement au trône), et aussitôt tous les assistans vinrent successivement prêter hommage au nouveau souverain.

« Pendant cette partie de la cérémonie, des ménestrels jouaient de divers instrumens dont quelques-uns me parurent très ingénieusement imaginés et fort harmonieux. Les plus habiles musiciens se trouvaient surtout parmi ceux qui étaient venus des provinces de l’intérieur ; quelques-uns de leurs airs étaient agréables, bien exécutés, et, sous tous les rapports, infiniment supérieurs à ce que j’avais entendu jusque-là de la musique des indigènes.

« Plusieurs de ces ménestrels ne se servaient de leur instrument que pour accompagner des chants improvisés dans lesquels ils célébraient les louanges de quelque chef qui leur était plus particulièrement connu ; j’eus aussi ma part d’encens, parce qu’on espéra sans doute que je la paierais généreusement.

« Tout ménestrel un peu renommé mène avec lui son jongleur, qui est un personnage tout-à-fait subalterne. Ces jongleurs cependant sont en général d’excellens mimes, et quelques-uns par leur jeu me rappelaient les clowns de Shakspeare.

« Dalmahoumedii assistait à la cérémonie entouré d’un grand nombre de ses partisans ; mais il paraissait sentir qu’il avait perdu du terrain, et il ne prenait part à rien de ce qui se faisait autour de lui.

« Si on pouvait se faire l’idée du caractère d’un peuple quand on n’a eu l’occasion de le voir que pendant une époque de licence absolue, je dirais qu’il n’y a dans le Boulam que des vagabonds, des voleurs et des ivrognes. Cependant on m’a assuré que ce sont en général de braves gens ; ce qui n’empêche pas qu’ils ne soient, comme tous les Africains en général, indolens à l’excès et attachés aux vieilles coutumes de leur pays qu’ils ne veulent point abandonner, même quand ils sont venus à en reconnaître l’absurdité. Aujourd’hui, aucun missionnaire d’Europe ne songerait à essayer de leur ouvrir les yeux ; mais on l’avait entrepris il y a quelques années, et malgré tout le zèle de ceux qui s’étaient chargés de cette tâche, il ne reste pas aujourd’hui un seul chrétien dans tout le pays de Boulam. Les musulmans au contraire ont fait de nombreux prosélytes ; ils s’y prennent mieux que nos missionnaires, qui me paraissent vouloir faire entrer le coin par le gros bout, lorsqu’ils cherchent à changer la