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VOYAGES AUTOUR DU MONDE.

croyance avant d’avoir changé les mœurs… Du reste, il y aurait trop à dire sur ce sujet, et je reviens à mon affaire.

« Le soir même j’envoyai la yole à Sierra-Leone pour porter la relation de tout ce qui s’était passé jusque-là et demander qu’on m’envoyât sur-le-champ le traité avec les présens d’usage pour le roi et les chefs ; cependant je continuai les négociations déjà entamées pour amener les grands et les notables à céder la souveraineté du pays à la Grande-Bretagne, et j’employai tous les argumens qui me parurent les plus plausibles pour leur en démontrer la nécessité et les avantages.

« Le lendemain, 6 mars, j’allai me promener à quelque distance de la ville pour me faire une idée du pays et des ressources qu’il présente. Je vis partout le sol présenter les apparences de la plus grande fertilité, et je crois que sous ce rapport les campagnes situées à l’autre côté de la baie, c’est-à-dire celles de Sierra-Leone, ne sauraient soutenir la comparaison. Des épices de toute espèce croissent ici abondamment ; et sans beaucoup de peines ni de dépenses, on y ferait venir le café, l’indigo, la canne à sucre et le tabac. Il n’y a peut-être pas une seule production des Indes orientales et occidentales qu’on ne pût obtenir de ce sol, qui déjà fournit tout ce que la colonie envoie en Angleterre en retour des objets manufacturés. Cependant les naturels sont trop paresseux pour bien cultiver leur terre, et ils ne récoltent guère que du riz ; les marchandises anglaises qu’ils se procurent à Sierra-Leone et qui consistent en fusils, en poudre, en rhum et en tabac, sont payées ordinairement en bois de construction et quelquefois en journées de travail.

« Pendant le court séjour que j’ai fait en ce pays, j’ai été frappé de l’utilité qu’il y aurait pour l’Angleterre à former sur quelque point de la côte, à Madina, par exemple, un établissement fixe. Le sol, comme je l’ai dit, est très propre à l’agriculture, et n’étant que médiocrement incliné, on n’aurait pas à craindre qu’après la destruction des taillis la terre végétale fût emportée par les pluies d’orage, ainsi que cela s’est vu en d’autres endroits. Les fonds qu’on pourrait mettre dans cette entreprise seraient, je n’en doute pas, très promptement couverts. Un autre avantage d’ailleurs qui contribuerait beaucoup à attirer des colons, c’est que la côte de Madina et même celle de tout le Boulam est très saine ; ce que nous appelons à Sierra-Leone fièvre du pays est un mal à peine connu de ce côté de la baie.

« À peine étais-je de retour de mon excursion, que cinq ou six des pleureuses vinrent me rendre leurs devoirs. Elles inclinaient la tête jusqu’à terre, et dans cette position elles psalmodiaient sur un ton lugubre