Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
REVUE DES DEUX MONDES.

Venons au Poussin. L’ordonnance de cette toile est grave et simple. La chambre où gît le mourant est grande, mais modeste. La lumière, qui arrive sur son visage, colore d’un reflet mélancolique le lit et les assistans. Le peintre des Sabines et du Déluge, au moment de recevoir les secours du cardinal Massimo, se recueille pieusement, comme pour rendre son ame plus digne du Dieu qui la rappelle à lui. M. Granet n’avait qu’un sentiment à peindre, la douleur de l’amitié en face de la mort, et pourtant il a su varier sur les figures l’expression de ce sentiment unique. Chaque tête représente une individualité nouvelle dans cette communion de larmes et de regrets. Depuis la résignation austère du vieillard, qui voit dans ce spectacle imposant un avertissement de son heure prochaine, jusqu’à l’enfant qui s’étonne et comprend à peine les larmes qu’il répand, depuis la rage concentrée de l’élève qui perd un maître chéri, jusqu’à la femme qui voit partir plus qu’un maître et presque autant qu’un Dieu, quelle magnifique diversité d’attitudes et d’accens !

Ce que j’admire surtout dans la nouvelle toile de M. Granet, c’est la puissance unie à la sobriété, c’est la prodigieuse harmonie des couleurs, si heureusement alliée à la parcimonie des tons. Il n’y a pas un coin du tableau qui tire l’œil. Je reconnais sans discussion que le cardinal Massimo a la tête trop petite ou la taille trop élevée ; mais le cardinal est si bien à sa place, qu’à peine s’aperçoit-on de cette incorrection, si réelle qu’elle soit.

La Mort du Poussin est le plus beau poème de M. Granet, qui en a fait tant de magnifiques. Quand on remonte par la pensée aux premiers travaux de ce maître éminent, on se demande avec étonnement où sont les enseignemens qu’il a reçus, où sont les leçons qu’il a données ; les deux questions restent sans réponse. Comme La Fontaine, Granet n’a pas agi sur son temps, mais on ne peut pas dire non plus que son temps ait agi sur lui. Il s’isole dans son originalité, mais son génie n’est fécondant que pour lui-même, et ne dore pas les épis qui mûrissent autour de lui.


La Bataille de Nancy de M. Eugène Delacroix n’a pas réalisé toutes nos espérances. Malgré quelques belles parties qui révèlent çà et là la touche d’un artiste éminent, je ne puis approuver cette