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trésorerie. Comme M. Dupin, lord Brougham a des opinions et des habitudes de vieux bourgeois avec des boutades de radicalisme ; comme M. Dupin, il affiche quelques idées de croyances religieuses, sincères ou non, qui le rattachent à l’église, à la vieille église d’Angleterre, qui est pour lord Brougham ce qu’est l’église gallicane pour M. Dupin. La haine de lord Brougham et la virulence de ses paroles contre l’aristocratie ne se lient pas à un vif sentiment de la liberté, et la rudesse avec laquelle il menait le parti tory dans la chambre des lords, quand il la présidait, ne l’a pas rendu plus populaire que ne l’est devenu M. Dupin par la présidence de la chambre. Enfin, lord Brougham n’est pas plus d’accord avec le cabinet dont il fait partie, que ne le serait M. Dupin avec le ministère dont il serait membre, et les saccades qu’il donne sans cesse au conseil y ont opéré des divisions qui viennent de se manifester par la retraite de cinq ministres. Il est évident que la lutte s’engagera ensuite entre lord Grey et lord Brougham, et il est difficile de prévoir comment elle finira. Les tories auront peut-être la chance de se glisser au pouvoir entre les deux contendans. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque où lord Wellington rentra au ministère, l’opinion publique était aussi prononcée en Angleterre contre les tories, qu’elle peut l’être en ce moment.

La mort du général Lafayette a été exploitée par le pouvoir avec la rouerie et l’habileté grossière qui est le caractère distinctif de ce régime. Les vertus de Lafayette ont été mises à l’ordre du jour de tous les journaux ministériels, et les honneurs funèbres lui ont été rendus avec un appareil militaire tellement imposant, qu’il semblait moins destiné à honorer le mort qu’à égorger les survivans. On ne comptait pas moins de mille sergens de ville au convoi de Lafayette, dont les mânes ont dû être singulièrement flattés de cette démonstration de la police, qui lui avait déjà donné, il est vrai, beaucoup de marques d’attention pendant sa vie. Pour les princes et les ministres, ils s’étaient dispensés d’assister au convoi, et s’étaient contentés d’envoyer pour les représenter quelques voitures de la cour et quelques bouches à feu. Le peuple, qui ne manque pas de placer un mot d’esprit, même quand il se laisse prendre pour dupe, faisait tout haut remarquer que si les voitures étaient vides, les canons avaient été remplis, sans doute par forme de compensation.

On nous permettra de rappeler ce que disait M. Lerminier, au sujet de Lafayette, dans ses Lettres philosophiques, qui ont été publiées dans notre recueil : « Les appréciateurs divers de la démocratie française ont tous disparu ; Mirabeau n’a parlé que deux ans, Robespierre n’a soutenu que dix-huit mois l’horreur problématique de son personnage, Napoléon s’est fait un siècle en vingt ans ; seul, M. de Lafayette survit : il a duré. Dès