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allemand. Doit-on élaguer çà et là des pensées et des images, quand elles ne répondent pas au goût civilisé des Français, et qu’elles pourraient leur paraître une exagération désagréable ou même ridicule ? ou bien faut-il introduire le sauvage allemand avec toute son originalité d’outre-Rhin, fantastiquement colorié de calembourgs, chargé d’ornemens par trop poétiques, dans le beau monde littéraire de la capitale ? Pour ce qui est de moi, je ne crois pas qu’on doive traduire le sauvage allemand en français apprivoisé, et je me présente ici moi-même dans ma barbarie native, à l’instar des Charruas, à qui vous avez fait l’été dernier un accueil si bénévole…

« Le style, l’enchaînement des pensées, les transitions, les brusques saillies, les étrangetés d’expression, bref, tout le caractère de l’original allemand a été, autant que possible, reproduit mot à mot dans cette traduction française des Reisebilder. Le goût, l’élégance, l’agrément, la grâce, ont été impitoyablement sacrifiés partout à la fidélité littérale. C’est maintenant un livre allemand en langue française, lequel livre n’a pas la prétention de plaire au public français, mais bien de faire connaître à ce public une originalité étrangère. Enfin, je veux instruire, sinon amuser. C’est de cette manière que nous avons, nous autres Allemands, traduit les écrivains étrangers, et cela nous a profité : nous y avons gagné des points de vue, des formes de mots et des tours de langage nouveaux. Une semblable acquisition ne saurait vous nuire…

« Ce livre a été, à l’exception de quelques feuilles, écrit avant la révolution de juillet. À cette époque, en Allemagne, l’oppression politique avait établi un mutisme universel ; les esprits étaient tombés dans une léthargie de désespoir, et l’homme qui, alors, osa parler encore, dut se prononcer avec d’autant plus de passion, qu’il désespérait de la victoire de la liberté, et que le parti de la prêtrise et de l’aristocratie se déchaînait davantage contre lui. J’emploie les expressions prêtrise et aristocratie par habitude seulement, car je m’étais toujours servi à cette époque de ces mots, quand, seul, je soutenais cette polémique contre les champions du passé. Ces mots étaient compris de tout le monde, et, je dois l’avouer, je vivais encore alors de la terminologie de 1789, et j’étalais un grand luxe de tirades contre le clergé et la noblesse, ou, comme je les ai appelés, contre la prêtrise et l’aristocratie. Mais je suis allé plus loin depuis, et mes bons Allemands, qui, éveillés par le canon de juillet, ont suivi mes traces, et parlent à présent le langage de 1789, ou même de 1793, sont encore si éloignés de moi, qu’ils m’ont perdu de vue et me croient resté en arrière. Je suis accusé de modérantisme, d’intelligence avec les aristocrates, et je vois déjà poindre le jour où je vais être prévenu