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voilà, ayant à peine fait sa première communion, marchant sur les pieds d’Émile, puis sur les pieds de Paul, sur leurs quatre pieds en même temps ; donnant des cheveux à l’un, en acceptant d’un autre, recevant d’Ernest un livre d’heures, et de Ferdinand un bracelet.

Arrive cependant pour elle le moment de fixer les irrésolutions de sa tendresse. Sur le seuil du mariage, c’est en faveur de M. Paul qu’elle semble prête à se déterminer. M. Paul allait donc être l’amant définitif. Mais voici que notre étourdie qui s’est un jour décidée sans le moindre scrupule à l’aller visiter seule, tout garçon qu’il est, après s’être parée de son mieux à cet effet, s’avise tout à coup d’un singulier moyen pour fortifier au besoin sa sagesse, dont elle suspecte la solidité. En un clin d’œil, elle se déshabille, et en un clin d’œil aussi elle se rhabille. Rien n’était changé, du moins en apparence, à sa toilette. Sa robe, sa ceinture, sa collerette, son jupon, tout était ravissant de fraîcheur, seulement (je la laisse ici parler elle-même), le dernier vêtement, celui que des yeux profanes ne sauraient voir, mais qui ne se cache point aux regards de l’époux, ce tissu de lin qui était d’abord frais comme le reste de sa parure, elle l’avait quitté et remplacé par un autre qu’elle avait été prendre dans l’armoire au linge de la semaine passée. — Moi qui abhorre les circonlocutions, j’aurais dit simplement, je vous en demande pardon, mesdames, qu’elle avait mis une chemise sale. Le mot était bien aussi présentable que l’idée. Quoi qu’il en soit, cette chemise fut ce qu’elle appelle son égide ; ce fut elle qui, au défaut de son ange gardien, la protégea effectivement contre les entreprises de M. Paul. Ainsi Marie fut sauvée cette fois par l’amour-propre. Ce triste jeu de mots est bien d’elle et non pas de moi, je vous l’affirme.

Avant son mariage avec M. Léon, Marie voit sa vertu mise encore en un léger péril, toujours par ce même M. Paul. Dans un nouveau tête-à-tête avec elle, le téméraire en était venu jusqu’à lui appuyer un long baiser sur la bouche. Ce baiser, ce fut le salut de la fiancée. Elle trouva que ce baiser n’était point du tout ce qu’elle avait rêvé. Elle trouva que c’était un baiser qui faisait froid, et se tira encore, grâce à lui, d’affaire.

J’estime, quant à moi, ce baiser moins neuf que l’égide. N’est-il pas bien prouvé maintenant que les femmes sont des ames sans corps et font toutes fi de la grossièreté des sens ? Ignore-t-on qu’il n’y a plus que désappointement pour elles sur les lèvres d’un amant ?

En vérité, j’avais mieux auguré de ce livre sur son titre. Comment ! de petites légèretés, de petites coquetteries, de petites inconséquences ! n’y a-t-il donc que cela dans un cœur de jeune fille ? Est-ce qu’il ne s’y trouve pas aussi d’adorables trésors de chaste amour, de naïve et sainte pureté ? En nous ouvrant son âme, ce n’est pas un type, j’espère, que cette Marie a eu la prétention de nous montrer ! Mais pourquoi nous avoir appelés à sa confidence, si elle n’avait à nous confier de ses souvenirs que des aventures vulgaires, et il faut le dire, le plus souvent sans vraisemblance, sans délicatesse, sans pudeur ? — Ce n’était pas la peine. Le cœur des jeunes filles de M. Paul de Kock était déjà plein de tout ce qu’elle nous a conté.


F. BULOZ.