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lui, il les regardait par la fenêtre sans avoir sa part ; malgré cela, c’était un garçon dissoucieux, chantant toujours devant la vie, comme une alouette devant son nid, aimant déjà les jeunes filles et le vin de feu. Cependant il lui tomba un jour dans l’esprit d’aller chercher fortune loin du pays. Il ne dit rien à personne ; mais quand le jour fut venu, il prit un bissac plein de pain, un bâton, un chapelet, et il partit. Tant qu’il vit le bourg, ses larmes coulaient comme de la pluie ; mais quand il ne vit plus rien que la route devant lui, il se mit à chanter.

Il marcha ainsi la moitié du jour, et quand il se sentit fatigué, il s’assit au pied d’une croix, et il se mit à manger. Mais voilà que tout à coup trois pauvres voyageurs parurent devant lui, et le premier lui dit :

— Bonjour, mon maître : nous sommes de pauvres gens de Dieu ; nous avons bien faim, donnez-nous quelque chose, au nom de Jésus-Christ.

— Un chrétien ne peut rien refuser à ce nom-là, dit Moustache, prenez, voilà tout ce que j’ai.

Mais dès qu’il eut parlé ainsi, les trois mendians devinrent étincelans de lumière, leurs guenilles se changèrent en beaux vêtemens brodés d’or, et l’un d’eux dit à Moustache :

— Merci, brave garçon. Je suis Jésus-Christ, et ceux-ci sont saint Pierre et saint Paul, mes bons serviteurs. Fais trois désirs, et ils seront accomplis sur-le-champ.

— Demande une place dans le paradis, dit saint Pierre tout bas.

Mais Moustache ne l’écoutait pas.

— Fils de Dieu, dit-il à Jésus-Christ, en ôtant son bonnet, puisque c’est un effet de votre bonté de me donner trois choses, je demande une belle femme qui soit à moi, un jeu de cartes qui gagne toujours, et un sac où je puisse renfermer le diable.

— Tu auras tes trois souhaits, dit Jésus-Christ ; maintenant va en paix.

Aussitôt les voyageurs disparurent. Moustache reprit son bissac, son penbas, et continua sa route. Bientôt il aperçut un beau manoir avec un colombier et un grand bois tout autour. Il alla frapper à la porte pour demander si l’on n’avait pas besoin