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LE PAYS DE TRÉGUIER.

— Je viens chercher ma place, dit Moustache.

— Il n’y a pas de place pour toi en paradis, répondit saint Pierre. Tu as refusé d’en demander une quand Jésus-Christ te proposa de faire trois vœux ; va chercher ailleurs.

Et saint Pierre ferma son guichet.

Voilà le pauvre Moustache bien sot cette fois, car on ne voulait de lui ni parmi les diables ni parmi les anges. Il se mit à se gratter la tête comme un séminariste à qui on fait une question difficile. Mais heureusement que c’était un garçon qui aurait vendu la Vierge sans se damner. Il pensa qu’il fallait être plus fin que le portier du ciel. Il prit donc son bonnet brun à deux mains, et il le jeta par-dessus la porte dans le paradis ; puis il frappa encore. Saint Pierre lui demanda ce qu’il voulait.

— Ouvre-moi, dit Moustache, pour aller chercher mon bonnet, que j’ai jeté là-bas dans un mouvement de colère.

— Un homme sage ne se sépare jamais de son bonnet, répondit saint Pierre ; tu n’entreras pas.

— Alors, dit Moustache, il restera dans le paradis pour garder ma place jusqu’au jour de la résurrection, et, après le jugement, tu seras obligé de me recevoir parmi les bienheureux.

Saint Pierre fut frappé de ce qu’il disait, et il ouvrit la porte. — Viens donc le chercher, et repars tout de suite, dit-il. Mais une fois entré, Moustache se mit à courir dans le paradis comme un cheval qu’on met au vert.

— Saint Pierre, s’écria-t-il, un homme sage ne se sépare jamais de son bonnet ; c’est toi qui l’as dit, je ne quitterai plus le mien.

Et il s’assit comme un tailleur sur son bonnet brun.

Quand ils le virent, les saints se mirent à rire, et la sainte Vierge dit qu’on le laissât où il était.

Et depuis ce temps. Moustache est dans le paradis, attendant le jugement dernier, assis sur son bonnet. »


On voit qu’il y a dans le dénouement de l’histoire de Moustache quelque chose de singulièrement hardi. Cette manière d’escamoter le paradis et de faire passer une ame à la porte du ciel comme un mouton de fraude aux barrières de l’octroi, est plus plaisante qu’orthodoxe, et le saint Pierre de l’histoire bretonne ne le cède