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conserver un culte pour elles. La divinisation de ses mauvais penchans est une hypocrisie naturelle à l’homme ; il a besoin d’avoir un complice dans le ciel. Le Celte, avant sa conversion, avait un autel élevé à la haine ; il ne put se résoudre à n’en avoir qu’un seul consacré à la charité. Son vice lui était resté, et il lui fallait le dieu de son vice. Il songea donc à conserver son culte en changeant seulement de patron. Son esprit grossier ne voyait sans doute dans le Christ et sa famille que des divinités plus puissantes que ses anciennes idoles ; il pensa qu’il pouvait transporter ses hommages des premiers autels au nouveau, sans rien changer, et qu’il n’y avait après tout qu’un culte à déménager. Ce fut ainsi que ce qui appartenait à un dieu barbare fut attribué par lui à la mère de Jésus, et que l’on vit s’élever des chapelles sous l’étrange invocation de Notre-Dame-de-la-Haine ! Et ne pensez pas que le temps ait éclairé les esprits et redressé de semblables erreurs ! Une chapelle dédiée à Notre-Dame-de-la-Haine existe toujours près de Tréguier, et le peuple n’a pas cessé de croire à la puissance des prières qui y sont faites. Parfois encore, vers le soir, on voit des ombres honteuses se glisser furtivement vers ce triste édifice, placé au haut d’un coteau sans verdure. Ce sont de jeunes pupilles lassés de la surveillance de leurs tuteurs, des vieillards jaloux de la prospérité d’un voisin, des femmes trop rudement froissées par le despotisme d’un mari, qui viennent là prier pour la mort de l’objet de leur haine ; trois ave, dévotement répétés, amènent irrévocablement cette mort dans l’année. — Superstition bizarre et vraiment celtique ; vestige éloquent de cette énergie farouche des vieux adorateurs de Teutatès qui semblent n’avoir voulu renoncer à l’épée qui venge et tue qu’à la condition de pouvoir poignarder encore par la prière ! —

Toutes les fêtes sont célébrées avec une grande piété au pays de Tréguier, mais surtout celle de Noël. Aux approches de cette solennité, des troupes séparées de jeunes filles et de jeunes gens parcourent les campagnes en chantant des noëls au pied des croix de carrefour. C’est au déclin du jour, lorsque l’ombre descend sur les vallées, qu’on entend retentir tout à coup ces hymnes religieux, chantés par des chœurs invisibles. Les voix des jeunes garçons s’élèvent les premières :