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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

amis, d’un air familier, trivial peut-être, mais franc et qui séduit le peuple ; écoutez cette voix souple, flexible, aux intonations variées, cette voix riche d’accens vigoureux, admirable, moelleuse, tonnante, sardonique, voilée tour à tour ; cette prononciation qui rappelle à la fois le prêtre et l’Irlandais : vous reconnaîtrez que le sceau de sa mission spéciale est gravé sur le front de cet homme, qu’il est merveilleusement à sa place, et que nul autre ne le remplacerait.

« O’Connell, disait un Allemand de beaucoup d’esprit, qui l’avait connu en Irlande, ressemble bien moins à un avocat de Dublin qu’à un maréchal de la grande-armée ! » — En effet, cet abandon, cette liberté, ce laisser-aller, cette bonhomie brusque qui le caractérisent se trouvent souvent chez les militaires, rarement chez les hommes de loi. Il est le premier à dire que, de tous les hommes d’état des trois royaumes, il est celui qui, depuis trente années, a ri de meilleur cœur et le plus souvent. En effet, ce gros homme si fleuri, si gai, si ouvert, ne semble pas avoir souffert beaucoup, et les soucis de la vie publique n’ont pas plissé son large front ni dégarni ses tempes de cheveux.

En 1812, on vit se former à Dublin le comité catholique, dont le but était de hâter et de favoriser par tous les moyens l’émancipation des catholiques irlandais. O’Connell y joua le premier rôle ; le ministre Perceval s’opposait avec force aux prétentions du comité qui demandait l’admission des catholiques dans l’une et l’autre chambre. Violent dans son langage, O’Connell avait attaqué sans ménagement la corporation de Dublin, tout anglicane et composée de marchands qui avaient long-temps régi les intérêts municipaux et électoraux de la capitale irlandaise. Trois ans après, un nommé Desterre, qui se porta champion des protestans de Dublin, insulta O’Connell dans une des rues de la ville. Le lendemain un cartel fut envoyé à Desterre par O’Connell, et le combat eut lieu, à la mode irlandaise, devant quelques centaines de spectateurs. Desterre fut blessé à mort ; les paysans montrent encore aujourd’hui, avec orgueil, la place où le Conseiller tua son homme. Ajoutons que le vainqueur a tiré bon parti de sa victoire. Depuis ce temps, il a toujours refusé de se battre, disant que c’était assez de la mort d’un homme, et qu’il ne voulait pas avoir à répondre d’un second meurtre.