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beaucoup la portée de ses ressources pécuniaires. Que la récolte de pommes de terre manque ; que le prix des denrées s’abaisse ; que la maladie ou la paresse l’empêchent de travailler, le voilà incapable de remplir ses engagemens. Bientôt les propriétaires et le clergé protestant interviennent ; la loi les arme de pouvoirs extraordinaires contre le paysan coupable : elle leur donne le droit de s’emparer de ce qu’il possède pour acquitter ce qu’il doit, à titre de rente ou de dîme ; on peut même le chasser de son domicile. Souvent encore un propriétaire, voulant améliorer ses terres et se souciant peu d’y laisser des hôtes incommodes qui l’habitent sous le nom de fermiers, trouve que le terrain est cultivé avec un trop grand nombre de gens ; il chasse ces hommes paresseux qui affaiblissent et laissent s’épuiser les champs sur lesquels ils campent par hordes sauvages. Les Irlandais sont éloignés, et le propriétaire qui se défait d’eux de cette manière s’occupe fort peu de leurs ressources ultérieures et de leurs moyens d’existence.

Ces hommes, dépourvus d’argent et de vivres, ces misérables proscrits, se dirigent vers les cités ; là ils composent cette masse de mendians qu’une affreuse pauvreté dévore dans leurs faubourgs ; ou bien ils se retirent dans les montagnes où ils forment des associations dangereuses dont le but est le vol et le brigandage. Je ne sais quelle faveur, quelle sympathie populaire accompagne et entoure ces hommes placés hors la loi (out-laws) ; ils déclarent une guerre à mort aux propriétaires, et surtout aux autres paysans plus industrieux ou plus favorisés qui ont pris leur place dans les fermes et les campagnes, et posé leurs foyers dans l’endroit même où naguère ils avaient les leurs. « Prendre la terre sur la tête d’un autre » (telle est leur expression singulière) est à leurs yeux le crime le plus énorme qui ait jamais été consigné dans les codes civils d’Irlande. Ils le punissent eux-mêmes sur ceux qui en sont coupables, sans délai, sans pitié. Malheur au paysan qui commet ce crime impardonnable, il est exposé aux outrages de ces législateurs nouveaux et institués par eux-mêmes. Ils étendent sur lui, quand ils sont dans le voisinage, une main de fer. Meurtres, incendies, destruction du bétail, sont leurs moyens ordinaires de punition. La petite noblesse et plus spécialement le clergé protestant sont ensuite leurs victimes les plus ordinaires. Telle est l’origine, tel est le caractère