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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

Dublin. Tout s’agite, tout fermente à son approche dans cette capitale ordinairement triste et déserte. Le reste de l’île éprouve une commotion sympathique ; on se rassemble ; on forme des clubs ; O’Connell passe de l’un à l’autre, haranguant, pérorant, enflammant les esprits, infatigable dans son activité, et ne craignant pas de répéter la même chose un millier de fois dans une journée. Le matin, c’est à une réunion des commerçans de Dublin qu’il consacre son éloquence ; le soir, vous le retrouvez à plusieurs milles de la ville, au milieu des paysans, des fermiers et des prolétaires qui sont venus des points les plus reculés de l’île pour entendre l’illustre Conseiller. Un peu plus tard il est à table dans quelque faubourg de Dublin, et n’attend que le moment du dessert pour commencer une de ces improvisations politiques pour lesquelles les habitans de la Grande-Bretagne ont un si vif penchant. Le texte de tous ses discours, c’est l’indépendance de l’Irlande, la destruction du nœud politique qui l’unit à l’Angleterre. Que ce divorce s’accomplisse, tous les maux seront guéris. Les exilés volontaires qui vont semer leurs trésors sur d’autres contrées, reviendront en Irlande ; l’église anglicane d’Irlande tombera dans le néant ; les protestans et les catholiques s’embrasseront comme frères ; la panacée universelle sera trouvée : voilà les promesses solennelles du grand agitateur, promesses qu’il ne cesse de répéter et qui ne cessent pas d’être démenties par l’événement ; promesses qui excitent toujours l’enthousiasme des auditeurs et leur foi implicite. Il faut entendre O’Connell développer son utopie et prédire le moment heureux où toutes les nuances des opinions se confondront dans une seule opinion nationale, où l’Irlandais, redevenu son maître, forcera le Saxon maudit à repasser le détroit et à fuir avec ses lois, avec ses croyances, avec ses chaînes. Il faut l’entendre mêler à ses lieux-communs toutes les exagérations de la haine populaire, allusions bouffonnes, mordantes, calomnieuses ; tout ce qui peut flatter les passions du vulgaire. Il n’épargne personne, ni le roi sur son trône, ni l’alderman protestant de Dublin, ni le gouvernement des whigs, ni le vice-roi et les secrétaires d’état chargés de tenir l’Irlande en respect. Pendant l’intervalle des sessions, O’Connell et les agitateurs du second ordre qui gravitent autour de lui vont répandant à grands flots toutes ces injures, toutes ces invectives, toutes ces caricatures,