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penny et pence, tout est reçu avec reconnaissance ; et cette étrange aumône dont l’Irlande entière est le théâtre a produit près de 15,000 livres sterling par an, depuis 1829. Il est vrai que les frais de perception s’élèvent à 25 ou 50 pour cent. O’Connell touche ces deniers sans répugnance et sans scrupule. Il ne sourcille pas quand ses ennemis le saluent du nom assez mérité de Mendiant illustre. « Il accepte, dit-il, cette rémunération, non-seulement comme un témoignage de reconnaissance de la part de ses concitoyens, mais comme compensation des sacrifices qu’il a faits en se dévouant à la cause de la patrie, et en délaissant le barreau. » Il faut ajouter que sa manière de vivre est infiniment coûteuse, et que sa situation politique le force à de continuels voyages, et à un état de maison dispendieux. Sa demeure, à Londres, sert de point de ralliement à son parti, qui se compose en général d’aventuriers besoigneux, et l’on ne peut douter que ses projets politiques ne l’entraînent à plus d’une dépense secrète. Il faut donc regarder sa pension annuelle, moins comme un revenu personnel que comme la liste civile de ce roi très catholique de l’Irlande révoltée. Sa famille est nombreuse et prodigue ; aussi le libérateur, l’agitateur, comme on l’appelle, le héros du catholicisme irlandais, n’est-il pas riche, et ses ennemis annoncent hardiment le jour où le ministère fera l’acquisition définitive de cet adversaire formidable, si le ministère croit qu’il en vaille la peine, et si un sentiment de probité n’arrête pas les agens du pouvoir. Quoi qu’il en puisse être un jour, jamais démagogue n’a tiré meilleur parti de la faveur populaire. Personne avant lui ne l’avait négociée comme une lettre de change, et ne l’avait convertie en bonnes espèces sonnantes, payables tous les ans.


Dans le parlement de 1831, qui dura si peu et qui ne fut convoqué que pour passer le bill de la réforme et être dissous presque aussitôt, O’Connell représenta le comté de Kerry. La réforme irlandaise, tout incomplète qu’elle fût aux yeux d’O’Connell et de ses amis, augmentait considérablement leurs forces. Déjà l’élection des comtés leur appartenait presque entièrement ; celle des bourgs, qui avait appartenu à quelques propriétaires et aux corporations protestantes, s’ouvrit à tous les citoyens : la majorité