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Tel est le problème à résoudre : telle est la situation présente d’O’Connell.

Qu’il réussisse à descendre de ce trône glissant qu’il occupe ; que son abdication soit aussi habile que son usurpation a été brillante, et cet homme, le plus audacieux, le plus puissant des démagogues modernes, sera le plus complètement heureux des hommes politiques qui ont joué un rôle sur notre scène turbulente.

Aux yeux de ceux qui jugent superficiellement la politique intérieure des trois royaumes, ce portrait d’O’Connell paraîtra sévère et même inique ; on croira que les préjugés protestans et les affections anglaises ont influé sur l’auteur de ces pages ; on s’étonnera qu’un ami de la liberté n’ait pas ménagé davantage l’homme dont toute la vie a été dévouée aux intérêts de l’indépendance nationale. Peut-être en effet, à notre insu, les idées et les souvenirs britanniques nous ont-ils dominé. Mais en jetant les yeux sur ces fertiles plaines irlandaises et sur les fléaux qui en dévorent la fécondité ; en examinant de près l’état de l’Irlande, sa barbarie féodale, sa misère profonde, on ne peut s’empêcher de regarder les agitateurs publics et ceux dont la gloire et la fortune ont pour base les orages et les malheurs de la patrie, comme les véritables causes de ces énormes calamités. Que le gouvernement anglais se soit montré tyrannique, que la conquête anglaise ait écrasé l’Irlande, rien de plus vrai ; mais cette tyrannie n’existe plus ; mais les chaînes dont ce pays était couvert sont tombées l’une après l’autre ; et si leur empreinte douloureuse subsiste encore, au temps seul il appartient de l’effacer.

Le paysan irlandais jouit de la liberté individuelle ; ses droits sont aussi étendus, aussi complets que ceux de tous ses concitoyens ; il ne paie pas plus d’impôts qu’eux ; il ne peut se plaindre d’aucune injustice. Et cependant l’Irlande est toujours pauvre et barbare ! Qui s’en étonnerait ? La fièvre politique l’agite et la dévore ; l’agriculteur qui possède des capitaux, de l’activité et du bon sens, néglige de les employer à l’exploitation de ses terres ; il sait que sa vie est menacée, qu’une population haineuse l’environne, que l’amélioration de ses biens, le progrès de son industrie lui sont odieux, et qu’elle ne veut ni souffrir qu’il s’enrichisse, ni l’imiter dans ses efforts. Le protestant, en butte à l’animosité des catho-