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tuoso Riveira, gaucho lui-même et fier d’être le fondateur d’une colonie, s’occupa avant tout de bâtir une ville. On traça en conséquence le plan d’une cité magnifique avec des rues de cent pieds de large, des trottoirs bordés d’orangers, des églises, des hôpitaux, sans omettre des prisons, comme si Riveira eût senti que les Guaranis ne pourraient vivre long-temps dans la compagnie des siens sans perdre leur candeur primitive. Enfin, la nouvelle ville reçut le nom de Bella-Union, Belle-Union.

La famine était le premier des maux qui attendaient les pauvres Guaranis sur la terre étrangère. De quatre cent mille têtes de bétail qu’on avait amenées des Sept Missions, à peine en restait-il un vingtième. Tout le reste avait été partagé entre les principaux chefs de l’armée qui l’avaient envoyé dans la campagne de Montevideo ou vendu à des spéculateurs. La viande étant la base alimentaire du pays, et par conséquent une chose de première nécessité, la rareté du bétail devait entraîner les conséquences les plus funestes pour les nouveaux colons. Du reste, la privation de cet important objet de consommation ne se fut pas fait sentir long-temps, si l’on eût demandé à la terre, qui est d’une fertilité admirable dans cette partie de l’Amérique, la subsistance de la colonie.

Bella-Union existait depuis environ deux mois, lorsque je la visitai. Des spéculateurs de Buenos-Ayres et Montevideo s’empressaient de porter des vivres et des marchandises de toute espèce dans un endroit qu’ils savaient dépourvu de tout. Je profitai du départ de quelques-uns d’entre eux pour entreprendre un voyage qui offrait un grand attrait à ma curiosité.

Après avoir remonté l’Uruguay jusqu’au village de Paysandù, situé à soixante-dix lieues au nord de Buenos-Ayres, sur la rive gauche du fleuve, nous continuâmes notre voyage par terre. Pendant quinze jours d’une marche que retardaient à chaque instant les pesantes charrettes qui portaient les marchandises de mes compagnons de voyage, nous traversâmes un pays magnifique, alternativement couvert de forêts et de savannes, mais désert au point que souvent on eût cherché vainement une cabane dans un rayon de dix lieues. Cependant, après avoir fait dix lieues au-delà de Belen, chétif hameau de douze maisons, situé à l’extrême frontière de la province, la scène changea subitement d’aspect. Une suite de collines formant un rideau d’un vert sombre se déroula devant nous à perte de vue. La plupart étaient couronnées d’habitations, appartenant à des Guaranis qui avaient sauvé quelque bétail du pillage. À chaque pas que nous faisions, le pays devenait plus peuplé ; tout annonçait le terme de notre voyage. Enfin nous passâmes à gué une petite rivière dont l’embouchure servait de port à la ville, et nous entrâmes à Bella-Union.