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en dehors et à l’aisance de la femme du grand monde qui reprenait vite le dessus la ramenait tout-à-fait au type adouci de la restauration.

Cette nature trop franche devait percer toutefois et choquer à cette époque de partis irrités et dans une société d’étiquette ; on ne lui épargna l’envie ni la haine. On lui en voulait en certains cercles fanatiques pour l’éclat de son salon, pour ses opinions libérales, pour l’espèce de gens, disait-on, qu’elle voyait : ses amis recevaient quelquefois d’odieuses lettres anonymes. Elle ne put ignorer ces manèges, et elle en souffrait, et elle travaillait à se détacher en esprit d’un monde où les inimitiés sont si actives, où les amitiés deviennent trop souvent plus lentes et infidèles. Toutes ces passions humainement si nobles, ces zèles excessifs, soit politiques, soit maternels, ces préférences, ces fougues d’une ame qui aspire à trop étreindre, commencèrent de s’abattre peu à peu en prière et en larmes de paix devant Dieu. Ses souffrances physiques étaient devenues par momens atroces, insupportables ; elle les acceptait patiemment, elle s’appliquait de tout son cœur à souffrir, elle y mettait presque de la passion, si l’on ose dire, une passion dernière et sublime. Dans cette ruine successive des organes, son cœur sembla redoubler jusqu’au bout d’ardeur et de jeunesse. Presque séparée du monde alors, entourée des soins les plus constamment pieux par sa fille Mme la duchesse de Rauzan, tantôt à Paris, tantôt à Saint-Germain, finalement à Nice, où elle mourut en janvier 1829, elle fut toute aux pensées graves et immortelles qu’accompagnaient et nourrissaient encore des soins assidus de bienfaisance. Parmi les courtes Réflexions chrétiennes tracées de sa main, il en est sur les passions, la force, l’indulgence. Dans la première qui a pour titre Veillez et priez, on lit[1] : « Presque toutes ces douleurs morales, ces déchiremens de cœur qui bouleversent notre vie, auraient été prévenus si nous eussions veillé ; alors nous n’aurions pas donné

  1. Les ouvrages manuscrits laissés par Mme de Duras doivent être publiés, d’après l’intention qu’elle a marquée elle-même, par M. Valéry, dont le goût fin est si propre à les sentir. Nous avons cru toutefois pouvoir donner idée des Réflexions chrétiennes dont nous avions sous les yeux une copie, ces Réflexions ne devant pas être comprises dans la publication littéraire.