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ploya tout ce qu’elle avait d’adresse à flatter cette passion naissante, qui devint presqu’aussitôt de l’amour le plus aveugle et le plus emporté. En s’y abandonnant, Merowig allait devenir l’ennemi de sa propre famille, l’instrument d’une haine implacable contre son père et contre tous les siens. Peut-être ne se rendait-il pas bien compte de ce qu’il y aurait de criminel et de dangereux pour lui dans cette situation violente ; peut-être, prévoyant tout, s’obstina-t-il, en dépit du danger et de sa conscience, à suivre sa volonté et son penchant. Quoi qu’il en soit, et quelle que fût l’assiduité de Merowig auprès de la veuve de son oncle, Hilperik ne s’aperçut de rien, tout occupé qu’il était à faire compter et inventorier les sacs d’or et d’argent, les coffres de joyaux et les ballots d’étoffes précieuses[1]. Il se trouva que leur nombre allait au-delà de ses espérances, et cette heureuse découverte, influant tout à coup sur son humeur, le rendit plus doux et plus clément envers sa prisonnière. Au lieu de tirer une vengeance cruelle du mal qu’elle avait voulu lui faire, il se contenta de la punir par un simple exil, et lui abandonna même, avec une sorte de courtoisie, une petite portion du trésor dont il venait de la dépouiller. Brunehilde, traitée plus humainement qu’elle-même n’eût osé l’espérer en consultant son propre cœur, partit sous escorte pour la ville de Rouen qui lui était assignée comme lieu d’exil ; la seule épreuve vraiment douloureuse qu’elle eut à subir après tant de crainte, fut de se voir séparée de ses deux filles, Ingonde et Chlodoswinde, que le roi Hilperik, on ne sait pourquoi, fit conduire et garder à Meaux[2].

Ce départ laissa le jeune Merowig tourmenté d’un chagrin d’autant plus vif qu’il n’osait le confier à personne ; il suivit son père au palais de Braine, séjour assez triste pour lui, et qui maintenant surtout devait lui paraître insupportable. Fredegonde nourrissait contre les enfans de son mari une haine de belle-mère, qui, à défaut de tout autre exemple, aurait pu devenir proverbiale. Tout ce que leur père avait pour eux de tendresse ou de complaisance

  1. Gregorii Turon. Hist., lib. v, pag. 245.
  2. Brunichildem apud Rothomagensem civitatem in exilium trusit… Filias verò ejus Meldis urbe teneri præcepit. Ibid., pag. 233.