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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

répondit : « C’est à Dieu qu’il faut demander de pareilles choses, » et ne put s’empêcher de rire[1]. Mais cette vanité, aussi folle qu’insatiable, ramena douloureusement sa pensée sur les hommes et les misères de son temps. De tristes réflexions le préoccupèrent au milieu du chant des psaumes ; et lorsqu’après l’office des vigiles, voulant prendre un peu de repos, il se fut mis au lit dans un appartement voisin de l’église, les crimes dont cette église semblait devoir être le théâtre, dans la guerre contre nature allumée entre le père et le fils, tous les malheurs qu’il prévoyait, sans pouvoir les conjurer, le poursuivirent en quelque sorte jusqu’au moment où il s’endormit. Durant le sommeil, les mêmes idées, traduites en images terribles, se présentèrent encore à son esprit. Il vit un ange qui traversait les airs, planant au-dessus de la basilique et criant d’une voix, lugubre : « Hélas ! hélas ! Dieu a frappé Hilperik et tous ses fils ! pas un d’eux ne lui survivra et ne possédera son royaume[2]. » Ce songe parut à Grégoire une révélation de l’avenir bien autrement digne de foi que les réponses et tous les prestiges des devins.

Merowig, léger et inconséquent par caractère, eut bientôt recours à des distractions plus d’accord avec ses habitudes turbulentes, que les veilles et les prières auprès du tombeau des saints. La loi qui consacrait l’inviolabilité des asiles religieux voulait que les réfugiés fussent pleinement libres de se procurer toute espèce de provisions, afin qu’il fût impossible à ceux qui les poursuivaient de les prendre par la famine. Les prêtres de la basilique de Saint-Martin se chargeaient eux-mêmes de pourvoir des choses nécessaires à la vie leurs hôtes pauvres et sans domestiques. Le service des riches était fait tantôt par leurs gens qui allaient et venaient en

  1. Statim ille vanitate elatus, tanquam si jam in cathedra Turonicæ ecclesiæ resideret, ad me hæc detulit verba. Cujus ego inridens stultitiam, dixi : « A Deo hæc poscenda sunt… » Illo quoque cum confusione discedente, valdè inridebam hominem, qui talia credi putabat. Greg. Turon. hist., lib. v, pag. 240.
  2. Vigiliis in basilicâ sancti Antistitis celebratis, dùm lectulo decubans obdormissem, vidi angelum per aera volantem : cùmque super sanctam basilicam præteriret, voce magnà ait : « Heu ! heu ! percussit Deus Chilpericum, et omnes filios ejus, nec superabit de his qui processerunt ex lumbis ejus qui regat regnum illius in æternum. » Greg. Turon., ibid.