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Et puis, dans son amour pour les simples paysages de l’école flamande, Sainte-Beuve ne s’interdit pas l’essor d’une pensée plus élevée. Il y a dans les Consolations deux pièces qui se distinguent entre toutes par la naïveté du début, le progrès lent et mesuré des premières pensées, et aussi, je dois le dire, par la magnificence et la sublimité de la conclusion ; je veux parler des premières amours d’Alighieri et de Béatrice, et de la monodie désespérée de Michel-Ange. À coup sûr il est impossible de commencer plus familièrement que ne le fait Sainte-Beuve dans ces deux morceaux. Il traduit presque littéralement un sonnet de Buonarroti, une page de la Vie nouvelle. Il épèle le thème qu’il a placé sur son pupitre, il le commente et le décompose nonchalamment, on dirait qu’il promène au hasard ses doigts sur le clavier. Mais peu à peu il s’exalte, il s’enivre de sa pensée, le son grandit et monte jusqu’au faîte, le murmure qui tout-à-l’heure chuchotait à nos oreilles s’enfle jusqu’à la menace ; nous étions dans une prairie, au bord d’un limpide ruisseau, et voici que nous sommes transportés sur la crête d’un rocher, au bord d’un fleuve écumant. Ceci, qu’on y prenne garde, est une grande habileté, et très rare, je vous assure. C’est le procédé familier aux grands symphonistes de l’Allemagne.

Il y a dans ces deux morceaux assez de poésie pour défrayer bien des poèmes. Quant au caractère mystique du recueil entier, qui a paru à quelques personnes plutôt découragé que fervent, il n’y a qu’une réponse à faire, c’est que les plus fermes espérances, qu’elles s’adressent à Dieu ou bien à un cœur préféré, ont leurs défaillances et leurs abattemens, c’est qu’il n’y a pas de prière possible dans une perpétuelle glorification.

Des Consolations au roman la transition est toute naturelle. Le sujet, qui d’abord ne se révèle pas en plein, mais qui se dessine et se précise au bout de quelques pages, n’est autre que la lutte des sens et de la volonté ; c’est le duel du plaisir et de l’intelligence, de la mollesse et de la réflexion, du corps et de l’ame, et enfin le combat acharné de la volupté contre l’amour. — Ceci pourra sembler singulier aux esprits inattentifs ; mais, avec un peu de complaisance, et surtout de bonne foi, on se convaincra bien vite de la