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auquel il n’a pas le temps de songer, le passé dont le souvenir troublerait sa joie au lieu de l’aviver.

Il est donc naturel que le voluptueux recule devant la tâche imposée à l’amant, qu’il palisse et trébuche devant l’abîme de résignation et de lutte ouvert à ses pieds. S’il tremble à la seule pensée de frayer la route à celle qu’il a choisie, c’est que ses pieds amollis dans le repos ne sont pas de force à saigner impunément, c’est qu’il craint pour ses pas chancelans les cailloux et les ronces, c’est que ses yeux baignés dans l’ombre d’une alcôve enivrée ne supporteraient pas la lumière éblouissante de la plaine, c’est que ses bras brisés dans les étreintes furieuses soutiendraient mal la femme préférée.

J’ai connu des caractères singuliers, d’une paix austère et permanente, à peine au seuil de leurs années, dédaigneux de la jeunesse qui s’agitait autour d’eux, empressés à vieillir avant l’âge, ambitieux de sentir sous les tresses dorées de leur chevelure les pensées qui d’ordinaire ne mûrissent que sous les fronts chauves et ridés ; ceux-là prenaient la volupté par son côté impitoyable et terrible. Ils tuaient leurs sens pour dégager leur ame. Ils déchiraient le corps pour ouvrir à l’intelligence des horizons plus larges, de plus lointaines perspectives. Au-delà du plaisir qu’ils se prescrivaient et qu’ils menaient à bout, ils apercevaient l’atmosphère sereine de la réflexion. Quand ils ont voulu se mettre à aimer, quand ils ont compris que l’intelligence livrée à elle-même, abreuvée de vérité, ne suffisait pas à remplir la vie, ils ont trouvé dans l’amour une vie nouvelle et qu’ils avaient prévue. Ils avaient mesuré la tâche, ils avaient l’œil paisible, et leur paupière ne s’est pas abaissée convulsivement. Ils avaient compris que la volupté a deux sens, l’un grossier, vulgaire, qui se révèle au plus grand nombre, c’est le plaisir des sens ; l’autre idéal, poétique, supérieur à la vie commune, c’est la volupté dans l’amour. Ils avaient pressenti que le plaisir acheté par le dévoûment et le sacrifice, préparé par la persévérance et les mutuels épanchemens, acquiert une saveur nouvelle, et que les voluptueux ne soupçonnent pas. Aussi quand ils ont essayé l’amour, ils l’avaient deviné, et sans peine ils ont triomphé de leurs sens avilis. Ils avaient conservé soigneusement l’étincelle précieuse qui devait rallumer les cendres