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POÉTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

de leur jeunesse. Au jour du réveil ils ont retrouvé ce qu’ils avaient dédaigné dans leur folie orgueilleuse, la faculté d’aimer.

Mais ce n’est pas à cette volupté réfléchie que s’en est pris Sainte-Beuve ; il sait bien que le plaisir ainsi accepté plutôt que poursuivi n’est qu’une cruelle initiation, qui mérite plus de compassion que de colère.

Amaury, le héros du roman de Sainte-Beuve, placé entre trois femmes, toutes trois dignes d’être aimées, les perd toutes trois par son irrésolution et ses caprices. Livré de bonne heure aux faciles plaisirs, il s’y amollit et s’y énerve, et lorsqu’il cherche en lui-même la force de vouloir et d’aimer, il ne la retrouve plus, il entame la destinée de trois femmes sans compléter la sienne. Tout le roman est là. De la volupté à l’impuissance d’aimer, de l’irrésolution à la nullité, la transition est logique, irrésistible. — Les trois caractères qui se dévouent à l’amour d’Amaury, et qu’il n’accepte pas, parce qu’une fois avili par l’effémination il tremble de s’engager et de vouloir, sont tracés habilement, simples, vrais et bien distincts. La première, Amélie de Linier, est une jeune fille candide et pure, attachée à ses devoirs, résignée à l’obéissance, soumise à la destinée que Dieu lui a faite, qui suivrait Amaury dans ses plus hardies entreprises, mais qui souhaite un rôle à l’homme qu’elle aime, parce qu’elle ne conçoit pas la dignité virile sans la volonté ; son ambition ne va pas jusqu’à surprendre à son profit toutes les facultés d’Amaury. Elle veut la première place dans son cœur ; mais dans le monde elle ne veut pour elle-même que le second rang. Elle est libre, elle pourrait devenir la femme d’Amaury. Mais le voluptueux demande deux années de répit. Deux ans dans la vie d’un homme sans volonté, sans prévoyance, c’est un monde pour l’oubli et les mauvais desseins. Bientôt Amélie est détrônée par Mme de Couaën. Cette nouvelle figure pour l’achèvement de laquelle le poète a dépensé le meilleur de ses forces est plus grande, plus idéale que la première. Sa mélancolie est pleine de superstitions et de pressentimens. Elle se laisse aller à aimer Amaury sans craindre un seul instant que cette nouvelle affection puisse troubler la paix de ce qui l’entoure. Elle aime saintement, pour le bonheur d’aimer ; ce qu’elle offre et ce qu’elle demande, c’est un dévoûment sans réserve, mais chaste,