Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
REVUE DES DEUX MONDES.

mais religieux, mais contenu dans les limites austères du devoir. Elle ne connaît pas l’entraînement des sens et ne songe pas à le redouter. La troisième figure, moins poétique peut-être que les deux autres, Mme de R., intéresse pourtant par la franchise même de sa légèreté. Elle est d’une coquetterie naïve, incapable d’un amour sérieux, mais capable cependant de pleurer l’abandon. Son amour, on le comprend sans peine, est plutôt dans sa tête que dans son cœur ; c’est un type qui se rencontre assez souvent, et que Sainte-Beuve a fidèlement reproduit d’après nature. Sans doute Mme de R. n’est pas digne de lutter dans le cœur d’Amaury avec Amélie ou Mme de Couaën. Mais pour l’irrésolu voluptueux c’est une occasion naturelle d’oublier son second amour comme il avait oublié le premier ; et c’est pourquoi il faut remercier l’auteur de l’avoir placée près des deux autres.

Amélie, pour un homme familier aux secrets de l’amour, représente le bonheur paisible, sans lutte, sans péripétie, l’amitié dans l’amour, la sérénité des jours pareils et prévus. Mme de Couaën résume idéalement l’amour romanesque, mêlé de larmes sanglantes et de célestes sourires ; la possession de Mme de R… ne serait tout au plus qu’une aventure de quelques semaines.

Entre ces trois amours, Amaury, on le voit bien, préfère le second, le plus grand, le plus difficile. Mais il recule devant le danger et n’offre pas le combat. Le cœur d’Amélie se laisse trop facilement pénétrer et n’offre pas à son avide curiosité assez d’élémens d’excitation. Et puis pour l’obtenir il faudrait s’engager sans retour, et le voluptueux ne veut pas même engager le lendemain. Mme de R… ne refuse pas de se livrer. Mais elle veut être dignement gagnée et s’accommoderait mal d’un cœur partagé. Elle surprend dans le cœur d’Amaury deux images rivales de la sienne, et qui rendraient son règne impossible. Elle ne peut pas se méprendre sur les vrais sentimens de l’homme qu’elle a distingué. Elle devine son hésitation et ses lâchetés. Elle serait folle vraiment de céder à des attaques si mal conçues et si mal poursuivies.

Ces trois amours sont décrits dans le roman de Sainte-Beuve avec une exquise délicatesse.

Un jour ces trois femmes se rencontrent, et sans plaintes, sans récriminations, sans aveu, elles comprennent la secrète rivalité qui