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obligé de descendre le pont et de le remonter avec mon fusil, sans autre munition qu’une seule cartouche, sous le feu du balcon du palais ; heureusement j’en fus quitte pour le bruit des balles qui me sifflèrent aux oreilles. Deux Français arrivèrent les premiers sur la place avec un Américain du Nord, et répondirent au feu que les soldats continuaient du haut du palais. Les Liméniens, excités par l’exemple d’étrangers, qui exposaient leurs jours pour les défendre, volèrent aux armes, et la fusillade devint plus vive. La résistance, à laquelle il manqua un chef pour l’organiser, s’établit sur les toits, sur les balcons, et la division de Bermudez, forte de six cents hommes, eut à soutenir un feu roulant pour traverser la ville, prendre ses équipages et repartir. L’obscurité de la nuit et le défaut d’ordre rendirent cette petite guerre plus bruyante que meurtrière ; néanmoins il y eut une vingtaine de morts et plus de cent blessés. Les Liméniens, tout fiers du bruit que nous avons fait, se croient autant de héros ; il n’est point d’éloges qu’ils ne donnent à notre courage et à notre dévouement ; les chaires, les journaux, les places publiques, tout retentit d’actions de grâces en faveur des étrangers. Mais je crains bien qu’une fois le danger et la peur évanouis, le naturel ne revienne au galop, et que nous ne soyons, comme auparavant, que des étrangers entachés du vice originel pour lequel le Péruvien ne connaît pas d’eau lustrale. Quoi qu’il en soit, une aussi forte secousse développa, chez cette population sans énergie, un enthousiasme dont le gouvernement aurait pu tirer les plus grandes ressources. Au lieu d’en profiter, le général Obregoso, entouré de peureux, ne se crut en sûreté à Lima qu’après que Bermudez et Gamarra, tous deux échappés, furent arrivés de l’autre côté de la Cordillère, le premier à Tarma et le second au Cerro de Pasco, qu’il frappa d’une contribution extraordinaire de 100,000 fr. et d’une réquisition considérable de draps.

Au lieu de poursuivre l’ennemi avec vigueur, tout retomba ici dans la tranquillité la plus profonde ; sans la paralysation du commerce, sans l’interruption de nos relations avec l’intérieur, nous aurions cru, à l’attitude du gouvernement, que la paix régnait dans le pays. Il n’en était malheureusement pas ainsi : chaque jour apportait la nouvelle de la défection des troupes sur tous les points