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des intérêts communs avec eux, mais que le gouvernement deviendrait bientôt impossible, s’ils maniaient les affaires. Lord Althorp, qui réunit toutes ces qualités, remplacera sans doute lord Grey, avec qui il a cru devoir prendre sa retraite ; mais il y a lieu de penser qu’on parviendra à vaincre sa répugnance, et à le ramener à la direction des affaires.

Le spectacle que vient de donner l’Angleterre n’a pas été perdu pour la France, et notre ministère en a subi un triste reflet. Après avoir lu la déclaration si droite et si honnête de lord Grey, les explications franches et ouvertes de ses collègues, après avoir vu tous ces hommes d’état si fidèles à leurs principes, si peu acharnés à se maintenir en place, si tôt prêts à rendre compte de leurs actes, de leur conduite, appelant avec tant de probité l’attention du parlement sur les résultats de leur gestion, on s’est trouvé bien humilié, bien profondément blessé dans son patriotisme, en reportant les yeux sur nos pantins politiques, sans vergogne et sans foi, cramponnés à leur titre et à leurs appointemens, épaississant l’ombre autour de leurs affaires, restant à leur place à tout prix, essuyant toutes les hontes, tous les échecs dans les chambres, abandonnant toutes leurs prétentions et leurs demandes pour peu qu’on leur résiste, reprenant à la dérobée ce qu’on leur refuse, dépassant sans conscience les crédits qu’ils avaient eux-mêmes fixés, implorant ensuite grâce à genoux quand on les menace de leur demander compte de leurs scandaleux marchés, bafoués, souffletés, humiliés, et en même temps fiers et insolens, contens surtout, pourvu qu’ils restent, et résolus à rester jusqu’à ce qu’on les chasse. Cette comparaison a été faite par toute la France, et la France entière en a rougi de pudeur. La France, qui paie, qui se bouche les oreilles, qui ferme les yeux, qui se résigne à tout ce qu’on lui fait faire depuis quatre ans, qui donne les mains à tout pourvu qu’on la laisse reposer et dormir, la France en a eu tout à coup un tressaillement, comme un mouvement de réveil, et elle a fait signe qu’elle n’est pas morte, dussent en pâlir ses habiles gouvernans.

Il faut cependant qu’elle s’arme encore de patience et de courage, si elle veut connaître ses affaires et la manière dont elles sont dirigées. Celle d’Alger n’est pas la moins curieuse et la moins déplorable. Depuis quinze jours, Alger est sur le tapis du conseil. On le donne, on le reprend, on le redonne encore à ses créatures et à ses amis, on se l’arrache, on se le dispute ; c’est un gros morceau sur lequel se portent toutes les mains, mais qui échappera à toutes, pour rester entre les doigts si tenaces du maréchal Soult, qui ne se laisse pas prendre facilement ce qu’il tient.

On sait qu’il a été beaucoup question de M. Decazes. Il avait pour concurrens, le maréchal Molitor, dont le roi ne veut pas, le maréchal Clau-