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DES LÉGISLATIONS COMPARÉES.

du déluge, et la vie de l’humanité s’ouvre réellement. La chasse fut, selon la tradition, la première action de l’homme ; et Nemrod au pays de Chinar était fort chasseur devant le Seigneur. Dans l’exercice rude et grossier de la vie chasseresse, l’homme était violent, vorace, imprévoyant. Cependant cette existence était un commencement d’action, un commencement d’emploi des facultés humaines, un commencement des notions du droit. Cette chasse, qui ne servait pas alors de délassement, mais devait pourvoir à la subsistance même, demandait du courage, de la patience, de l’intelligence dans le commandement, de la docilité dans la conduite. De plus, le prix de la chasse une fois conquis, la proie ne pouvait être partagée sans que les idées constitutives du droit parussent : les parts devaient être égales, tous avaient couru les mêmes dangers ; notion et principe de l’égalité. Mais un des chasseurs avait guidé les autres et avait montré à leur tête le talent de mener les hommes, on lui décernait volontairement une part plus opulente : notion et principe de la supériorité morale.

Le progrès de la vie chasseresse fut de se transformer dans la vie nomade. Les hommes ne se contentèrent plus de poursuivre les animaux et de les tuer ; ils les distinguèrent, et reconnaissant les uns moins redoutables, doux et disposés à devenir familiers, ils se les assujétirent, réservant leurs flèches à ceux dont la férocité leur parut incorrigible. Un chariot grossier portant toute une famille fut traîné par des animaux étonnés de leur joug ; les hommes poussaient des troupeaux devant eux, et cette société nomade, changeant de lieux, de destinées et d’aventures, faisait proprement de la vie un voyage[1]. Dans cette vie, les hommes étaient moins intempérans que lorsqu’ils se livraient uniquement à la chasse ; moins fatigués, ils prenaient avec moins d’excès la nourriture et la boisson ; entr’eux leurs relations étaient plus fréquentes, les liens de la paternité et du mariage plus formés ; comme dans leurs campemens ils observaient la germination et la venue des fruits de la terre, ils soupçonnaient les premières notions de l’agriculture ; les peuples n’égorgeaient plus leurs prisonniers, mais les tenaient en esclavage ; ils n’écrivaient pas encore, mais ils

  1. Voyez sur la vie nomade, Hérodote, liv. iv. — Justin., liv. xli.