Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/356

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
352
REVUE DES DEUX MONDES.

maîtresse les baisers d’une autre bouche. Il tremblerait de lire dans ses yeux une pensée qui retournerait en arrière et qui s’adresserait à un absent.

Mais comme sa tête a voulu avant que son cœur désire, c’est Ellenore qu’il attaque, et qu’il préfère à toutes les autres.

Il y a dans la possession de cette femme un aliment magnifique pour sa vanité. Il sera envié par ceux-là même qui médisent d’elle, et qui se vengent de ses dédains en redoublant son isolement. Il sera montré au doigt par la ville comme un lutteur adroit, comme un rusé jouteur ; chaque fois qu’il entrera dans un salon, il entendra autour de lui le chuchotement glorieux de ses rivaux.

Il ne tremblera pas à la vue de ces convoitises empressées, qui, pour un cœur vraiment épris, sont un supplice de tous les instans. Il ne frémira pas devant cette profanation insultante qui ternit les plus chastes voluptés. Il ne rougira pas de honte et de colère en écoutant ces propos tenus à demi-voix, qui font du bonheur une nouvelle, où les secrets du foyer se discutent comme la marche d’une armée.

Non ; il s’applaudira de son choix et lèvera fièrement la tête.

Ellenore verra dans Adolphe un amour jeune et confiant. Déjà fléchissante et ridée, elle sera fière d’avoir été distinguée par un homme destiné à tous les succès du monde. Plus folle et plus imprévoyante qu’une jeune fille, égarée par l’isolement, elle ira jusqu’à espérer de cette aventure une réhabilitation jusqu’ici vainement essayée. Dans la crédulité de son cœur, elle attendra de ce nouvel engagement la paix et la sécurité qui ont manqué au premier. Elle croira que les autres femmes, humiliées de son triomphe, se rallieront autour d’elle.

L’intervalle des années s’effacera. L’entraînement de ces deux cœurs, si différens et si mal connus l’un de l’autre, deviendra peu à peu irrésistible. À force de penser à Ellenore et de publier partout son admiration, Adolphe se convaincra, ou croira se convaincre de la réalité de son amour ; et Ellenore tombera dans le même piège.

Mais après le dernier abandon le réveil sera terrible. À peine maître de la place, qu’il a si vivement assiégée, il ne saura que faire de sa victoire. Après avoir sanctionné par la possession un