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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

dement. Si elle surprend dans le regard qu’elle épie un projet où elle ne soit pas de moitié, elle s’empresse aux larmes comme à une vengeance, elle lui inflige comme un châtiment ses caresses menteuses. Pour justifier son ennui et son abattement, elle interroge comme un juge toutes les actions qu’autrefois elle approuvait sans contrôle. Dès qu’il fait un pas, il trouve devant lui un œil curieux qui attend sa réponse ; s’il s’échappe un instant, il trouve au retour une bouche impérieuse dont chaque baiser est un ordre sans réplique. Elle voudrait lui trouver des torts pour éviter ses reproches, et dans l’espérance de surprendre une faute, elle veut savoir toutes les minutes de sa journée.

Au moins dans la solitude, après les défaillances désespérées, après les renoncemens éplorés, il arrive à l’âme de refleurir et de relever sa tige. Elle aspire librement l’air qui l’environne, elle s’épanouit sous la chaude haleine qui ride l’eau en passant, et lui porte une vapeur féconde.

Mais dans l’intimité sans amour, rien de pareil n’est possible. Il n’y a pas une heure d’abandon et de rêverie. Le silence est une plainte et la parole une querelle. Chaque mot renferme un regret ou une invective. S’il pleure, elle l’accusera de faiblesse et de lâcheté. Si, face à face avec l’horrible vérité, il retient sur ses lèvres l’aveu prêt à lui échapper, si sa voix, suffoquée par les sanglots, balbutie une bénédiction impuissante, elle s’emporte, elle implore sa colère. Elle s’irrite de cette douleur si peu virile et lui souhaiterait de l’orgueil afin de le combattre.

Que faire contre les larmes ? Quelle défense opposer à cette affliction qui se confesse ? Quand les larmes ne se mêlent pas à des larmes amies, quand une bouche adorée ne vient pas les boire dans nos yeux et rafraîchir de ses baisers la paupière enflammée, l’homme s’avilit aux yeux de sa maîtresse. Il se dégrade, il abdique sa grandeur ; le nuage grossit et devient un orage. Si elle eût pleuré, il était sauvé. Mais elle a vu sa douleur sans la partager, elle l’a jugé, elle a mesuré sa force : il est perdu.

Après le premier apaisement, le mensonge recommence. Car il faudrait une haute sagesse, un courage bien rare pour céder sans autre combat un sol si long-temps défendu. Mais le mensonge d’abord si ingénieux à se parer, si riche en métamorphoses, si habile à se déguiser, si fécond en ressources, devient de jour en jour