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plus maladroit et plus facile à surprendre : il n’est plus qu’une habitude et se passe de volonté.

Le qui-vive perpétuel de cette intimité vigilante épuise enfin les dernières forces des deux adversaires. Ils n’ont plus besoin de s’interroger pour deviner leur mutuelle pensée. Ils se disent adieu dans chacun de leurs embrassemens.

Heureux, trois fois heureux ceux qui n’ont pas attendu trop tard pour se deviner, et qui se sont quittés à temps ! car ils ont au moins, pour se consoler pendant le reste de la route, le souvenir du bonheur passé ! Ils peuvent se rappeler dans une amitié durable un amour évanoui. Ils assistent muets aux funérailles de leur enthousiasme et en parlent, sans amertume, comme d’un fils emporté par la guerre.

Mais combien rompent au lieu de dénouer ! combien, s’acharnant à leur amour, bâtissent des haines implacables sur des intimités obstinées !

Si elle se séparait de lui le jour où elle est sûre de son abandon, elle pourrait encore espérer sur la terre des jours sereins et paisibles. Si elle acceptait franchement la destinée qu’elle s’est faite, si elle ouvrait les yeux et mesurait froidement la route parcourue, il y aurait encore pour elle des chances de salut. Mais elle sait qu’elle n’est plus aimée, et elle pardonne. Au lieu de réhabiliter celui qui la trompait, elle devient pour lui un objet de pitié.

S’il aimait une autre femme, s’il s’était laissé prendre à une affection passagère, je concevrais le pardon. Ce serait générosité pure, et la reconnaissance pourrait assurer la fidélité à venir. Mais pardonner l’abandon, pardonner le délaissement qui n’a pas un autre amour pour excuse, pardonner l’hypocrisie, c’est une folie sans remède, c’est s’avilir pour quelques jours de répit, c’est appeler sur soi le mépris, c’est mériter l’oubli.

Or il n’y a pas une de ces austères vérités qui ne soit écrite dans Adolphe en caractères ineffaçables. C’est un livre plein d’enseignemens et de conseils pour ceux qui aiment et qui souffrent. Quand on est jeune, on croit à peine à la moitié de ces conseils. À mesure qu’on vieillit, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup d’oubliés.

Et pourtant je ne suis pas sûr qu’il y ait dans notre langue trois poèmes aussi vrais que celui-là.

Gustave Planche.