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Il était allé rendre visite à Mme de Rambouillet. Ne l’ayant pas trouvée, il s’arrêta un moment à causer avec une jeune fille qui se trouvait là par hasard. Je ne sais comment il arriva qu’un coup de mousquet ayant été tiré du dehors, la balle passa près de Malherbe. Le lendemain, Mme de Rambouillet lui fit quelque compliment à ce sujet : « Je voudrais, répondit-il, avoir reçu la balle ; je suis vieux, j’ai assez vécu, et puis on m’eût peut-être fait l’honneur de croire que M. de Rambouillet l’aurait fait faire. » Ce fut lui qui donna à la marquise ce fameux surnom d’Artémise. Qui l’eût dit cependant que Malherbe serait le parrain de tout l’hôtel de Rambouillet ?

Cette réunion se formait dès cette époque. Malherbe y parut rarement. Ce dut être une chose piquante que le spectacle du vieux Malherbe assistant à la naissance de cette précieuse académie que Molière heurta si rudement le jour où il la rencontra sur son chemin. Je ne serais pas éloigné de croire que le héros du bon parler vit sans déplaisir se former une société qui, par la pureté de son langage, semblait devoir transmettre au siècle qui naissait les pures traditions de sa dictature grammaticale.

Cependant il fallut à ce dictateur une maîtresse en titre : il jeta les yeux sur la vicomtesse d’Auchy. C’était une jeune femme d’une beauté assez peu remarquable, mais qui avait du goût pour les lettres, et le désir de plaire à ceux qui les cultivaient. Elle eut aussi plus tard son hôtel de Rambouillet. On sait tout ce que Malherbe a écrit de vers pour la belle Calixte. Calixte, c’est la vicomtesse d’Auchy. Le poète, dans ses lettres, lui baise les pieds en toute humilité. Mais il faut se défier de ces belles assurances. Il lui écrivait un jour : « J’ai failli, madame, j’ai failli, et failli si extraordinairement que, si j’avais trahi mon roi, vendu mon pays et généralement violé toutes sortes de lois divines et humaines, je ne penserais pas être coupable comme je suis, etc. » Cela ne ressemble pas mal à la langue que Mlle de Scudéry va enseigner aux beaux esprits du xviie siècle. Mais ce qui sent assez peu le Cyrus, c’est le fait pour lequel Malherbe a demandé grâce dans sa lettre. On raconte qu’ayant soupçonné la vicomtesse d’Auchy de quelque infidélité, il alla la voir, et que l’ayant trouvée seule sur son lit, il lui prit les deux mains dans l’une des siennes et s’emporta jusqu’à la frapper ;