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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

rien ne la provoque, que rien ne la justifie. Il est alors en prison, il fait ses adieux à sa famille, et l’échafaud où il va monter se dresse, au moment qu’il parle, entre les deux colonnes fatales de la Piazzetta. C’est pousser bien loin la préoccupation des vanités mondaines que de se décerner des quartiers de noblesse aux portes de l’éternité, et l’inadvertance du poète enlève, si je ne me trompe, beaucoup de l’intérêt dû aux infortunes de son héros. J’aurais de beaucoup préféré le voir occupé à son heure dernière moins de sa nouvelle illustration que de son ancienne obscurité. N’avait-il pas un regard de bénédiction à jeter en arrière ? des retours consolans à faire sur son passé ? Après une carrière si bien fournie, on peut se coucher en paix dans sa tombe, qu’elle soit de fleur ou de sang, — on a vécu. En négligeant cet élément éminemment dramatique, le poète n’a-t-il pas supprimé la poésie fondamentale du caractère de Carmagnola ? Je le crains.

Que j’aime bien mieux la fierté plébéienne du Sanche de notre vieux Corneille, soldat parvenu comme Carmagnola :


Si ma naissance est basse, elle est du moins sans tache,
Puisque vous la savez, je veux bien qu’on la sache.
Sanche, fils d’un pêcheur et non d’un imposteur,
De deux comtes jadis fut le libérateur :
Sanche, fils d’un pêcheur, mettait naguère en peine
Deux illustres rivaux sur le choix de leur reine :
Sanche, fils d’un pêcheur, tient encore en sa main
De quoi faire bientôt tout l’heur d’un souverain :
Sanche enfin, malgré lui, dedans cette province,
Quoique fils d’un pêcheur, a passé pour un prince.


Comparez cette âpre et fière éloquence du condottier espagnol à l’élégance contenue et un peu raide du condottier italien, évidemment l’avantage est au poète français. Mais c’est que pour exprimer dignement ces instincts plébéiens de


Qui ne doit qu’à lui seul toute sa renommée,


il faut les sentir, et c’est là peut-être ce qui n’est pas donné au patricien milanais. Pourquoi alors mettre en scène des plébéiens ? On