Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/595

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
591
POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

l’intérêt dramatique et du paysage, Manzoni lui est supérieur par l’idée et surtout par l’amour. Le roman de Manzoni a une pensée ; Scott n’en a jamais ; le roman de Manzoni a des entrailles ; Scott n’en a point. Manzoni écrit ad probandum ; Scott ad narrandum ; Manzoni donc est en progrès sur Scott.

Le but de Manzoni est de prouver que la société civile et politique est malade, et que le remède à lui appliquer est le catholicisme. C’est bien là évidemment son idée, et qu’il y ait eu ou non préméditation, c’est l’enseignement qui ressort de son livre. Le sujet en est simple. Deux villageois sont à la veille de se marier, un seigneur libertin du pays, qui a fait le pari d’enlever la fiancée, l’enlève en effet, ou du moins la fait enlever. Ce rapt est le nœud du roman. Après plusieurs années d’incidens, d’obstacles, d’aventures, le mariage enfin se fait par les soins du cardinal Frederick Borromée, archevêque de Milan.

Dans ce cadre borné, mais élastique, on passe en revue tous les ordres de la société. C’est une espèce de tableau mouvant où l’on voit défiler tour à tour une famine, une sédition, une invasion, une peste. Dans cet enchevêtrement d’aventures et à travers tant de digressions épisodiques, le fil se rompt bien quelquefois ; l’auteur l’a senti, mais il s’exécute de si bonne grâce, qu’il y aurait de la brutalité à lui courir sus. Il se compare à un enfant qui veut faire rentrer au bercail un troupeau de petits cochons d’Inde, lesquels se dispersent, qui d’un côté, qui de l’autre, et lui donnent beaucoup de mal.

Puisque nous voici sur le terrain des comparaisons, je comparerai, moi, les Fiancés à un fleuve, au Pô si l’on veut, qui s’épanche en nappe unie, calme, monotone, presque immobile, tant son cours est lent, qui réfléchit en passant couvens, châteaux, villes et villages, et avant de se perdre dans la mer, se bifurque en mille bras sinueux et divergens. Mais quelque long circuit que fasse l’auteur, il arrive pourtant au but, et sa pensée finit par se dégager lucide de tout cet engrenage un peu confus d’individus et de faits.

Renzo et Lucia, les deux fiancés du village, c’est le faible opprimé ; don Rodrigo, le ravisseur, est le fort oppresseur ; le cardinal Borromée, l’arbitre suprême entre l’un et l’autre, l’appui du faible contre le fort. Le prêtre, le noble, le peuple, voilà bien les trois