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M. Thiers, qui espère bien se glisser de ministère en ministère à la présidence du conseil ; mais toutefois l’habileté de M. Thiers aura fort à faire dans cette session. Dans le petit nombre de réunions parlementaires qui ont eu lieu, à l’exception très minime des ministériels absolus, on s’est montré unanimement fort opposé à M. Thiers, dont on ne rattache la politique à aucun système, mais dont les actes ministériels se lient à une foule de choses blâmables. La chambre paraît décidée, sinon à se défaire du ministère actuel, du moins à le purger de toutes les réputations véreuses, et à ouvrir à un ou deux ministres la porte par laquelle s’est retiré le maréchal Soult. La chambre trouvera dans le ministère même des appuis pour cette opération ; l’amiral Jacob, qui a peu d’importance comme homme politique, a commencé cette levée de boucliers en demandant hautement à M. Persil de provoquer une enquête sur les concussions attribuées à quelques principaux employés de son ministère ; M. Guizot ne cache pas qu’il est loin d’accepter la responsabilité du scandale du vaisseau de juillet et des pots-de-vin du ministère de l’intérieur, et le maréchal Gérard retrouve encore un peu d’énergie, et regarde avec inquiétude autour de lui chaque fois que la presse réveille les souvenirs des marchés scandaleux du ministère de la guerre. La chambre fera preuve de dignité, de probité, et d’intérêt pour le trône, en purifiant, comme il paraît qu’elle a dessein de le faire, le ministère qui va se présenter devant elle ; le ministère même y gagnera quelque chance de durée et s’asseoira sur un terrain meilleur.

Qui sait toutefois si la présidence du conseil ne sera pas vacante avant le ministère de l’intérieur ? Le maréchal Gérard est déjà dégoûté, il est malade, les affaires l’accablent et l’ennuient, il ne se sent pas la force d’amener à travers le ministère de la guerre le large fleuve de réformes qu’il faudrait pour nettoyer ces étables d’Augias, infectées de tant de corruptions. La maréchale s’afflige des fatigans efforts de son mari, elle pleure, le supplie de se démettre, et ne craint pas, dans sa sollicitude conjugale, de reprocher au roi le peu de ménagement qu’il a pour ses amis. Il est douteux que le maréchal Gérard, ami du repos, consente bien long-temps à porter le fardeau que lui a inspiré son dévouement à la dynastie de juillet ; et ceux qui espèrent le plus le voir rester à son poste jusqu’à la session craignent bien qu’à la première discussion orageuse, il ne prenne sa retraite. Cette retraite serait fâcheuse, car l’avènement au département de la guerre d’un ministre honnête homme était un motif d’espérance pour les amis de l’ordre et de l’économie. Comme personnage politique, le maréchal Gérard ne donnera sa voix, nous le pensons du moins, à aucune mesure rétrograde. Il a quitté les affaires à l’apparition du système du 15 mars. Sa conduite passée répond de l’avenir. Mais à son vote isolé se réduira toute son influence, la direction du conseil dont il a la présidence nominale ne lui appartenant pas. Comme administrateur, son action doit être puissante, mais sa tâche sera bien plus difficile. Il revient au département de la guerre après une gestion désastreuse qui, en trois ans et demi, a dévoré au-delà d’un milliard. Ici tout est à refaire : il faut une Saint-Barthélemy d’abus. Nous ne rappellerons pas les nombreuses attaques dirigées contre l’administration de la guerre pendant